Ce 3 novembre sera remis le prix Goncourt 2021, accompagné du chèque de 10 € traditionnel. Et les quatre finalistes se rongent les ongles — leurs éditeurs avec eux : sauf cas exceptionnel 2020 quand l’ouvrage d’Hervé Le Tellier a allégrement passé la barre du million d’exemplaires, un Goncourt pèse tout de même dans l’économie, principalement la distribution. Or, si un prix, ça va, deux, bonjour les dégâts pour le commerce du livre, et la librairie en particulier, note le président de l’Académie, Didier Decoin.
Le 01/11/2021 à 10:33 par Nicolas Gary
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01/11/2021 à 10:33
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Véritable industrie déclinée en de multiples versions partout dans le monde, le prix Goncourt demeure le plus critiqué et le plus vendeur — l’un n’allant probablement pas sans l’autre — dans la francophonie. Selon les données de GfK, entre 2014 et 2018, un roman exhibant le fameux bandeau rouge s’est vendu à 367.000 exemplaires en moyenne. Entre 2017 et 2019, on tombe à 319.000 exemplaires, toujours d’après l’institut, mais le Goncourt demeure la référence : seule la version des lycéens lui ferait parfois de l’ombre.
Encore en lice pour 2021, on retrouve Christine Angot, Le voyage vers l’Est, Sorj Chalandon, Enfant de salaud, Louis-Philippe Dalembert, Milwaukee Blues et Mohamed Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes. Et les paris sont lancés, avec une nuance de taille qu’a récemment apportée le président de l’Académie.
Sorti d’une année tumultueuse, où les jurés se sont retrouvés accusés de conflits d’intérêts, le Goncourt avait besoin de se refaire une virginité. Acculé, le jury a donc adopté en catastrophe, pour sa deuxième sélection, une règle de principe interdisant de retenir les « ouvrages des conjoints, compagnons ou proches parents des membres du jury ».
GONCOURT: “Il manque une grande figure morale”
Comme un prolongement de cette version plus éthique, Didier Decoin, cité par l’AFP, ajoute : « Il ne faut pas oublier nos amis et alliés que sont les libraires. Si on donne deux prix à un seul livre, ça ne fait qu’un livre dans la vitrine. » Les librairies, raison pour laquelle, nous indiquait Bernard Pivot voilà quelques années, un éditeur qui ne vendrait que des ouvrages en numériques ne serait jamais retenu. C’est qu’il faut vendre du papier…
Or, des quatre romans en lice, seuls Sorj Chalandon et Mohamed Mbougar Sarr n’ont pas reçu de prix. Christine Angot a obtenu le Médicis dernièrement et Louis-Philippe Dalembert, le prix Patrimoine 2021 — pas vraiment la plus prisée des récompenses automnales.
En toute logique, le choix des jurés se résumerait donc à l’alternative Sarr/Chalandon, mais le métier de jury a des raisons que la raison ne connaît pas. « Donc il faut réfléchir avant de voter, à tous les paramètres, et notamment celui-là. Ce n’est pas au nom du commerce, mais dans l’intérêt d’une profession qui est horriblement difficile », poursuit Didier Decoin. « Je prends en compte la pénibilité de ce métier. Et même si j’hésite encore à quelques jours du scrutin, je penserai de toute façon aux libraires. »
Cette perspective s’inscrit dans la continuité de la mission que Bernard Pivot attribuait à l’Académie quand il en occupait la présidence. Le Goncourt aidait les librairies en « couronnant de bons livres […] des livres qui se vendent bien ». Et d’ajouter en ce mois de janvier 2014 : « Si vous voulez que les librairies meurent, vous n’avez qu’à ne plus faire de papier, il n’y aura plus de librairies. C’est simple. »
La réalité de 2021, c’est que la crise du papier, entraînant pénuries et retards d’approvisionnements, inquiète les professionnels depuis quelques mois. Fin août, on se demandait s’il serait possible de procéder aux réimpressions du roman qui obtiendrait le prix Goncourt. Plus récemment, ce sont les hausses de coûts qui filaient des sueurs froides. « Nous touchons au drame de la mondialisation, frappée de plein fouet par la crise Covid et ses répercussions désormais. La reprise est lente, chaotique, pénible », nous indiquait un imprimeur…
Et pour reprendre les impératifs économiques qui sous-tendraient la sélection Goncourt de cette année — le besoin d’apporter de la diversité en librairie — le choix serait alors moins cornélien encore. « Il existe deux types d’éditeurs : ceux qui ont la trésorerie pour acheter et stocker leurs propres auprès des papetiers — généralement des grands groupes, parce qu’il faut des ressources. Et ceux qui achètent le papier à leur imprimeur », relève un éditeur.
« Si l’on regarde bien la dernière sélection, les options se réduisent drastiquement — et tendraient à favoriser Grasset, filiale de Hachette Livre, pour garantir l’approvisionnement. » Angot déjà récompensée, assurer l’impression en masse… « Non que les imprimeurs n’aient pas anticipé, mais la situation actuelle est vraiment complexe. »
Pour l’éditrice Sabine Wespieser, « c’est extrêmement important à la fois sur le plan symbolique, et sur le plan économique. [...] Pour une maison d'édition indépendante, un Goncourt c'est une manne incroyable ». Et d’assurer que son imprimeur « est prêt à appuyer sur le bouton à 12 h 45 le mercredi 3 novembre, pour rouler 200.000 exemplaires », auprès de France 24. Philippe Rey, de son côté a gardé un profil bas…
Notre partenaire Edistat dévoile les chiffres de vente, à date, des quatre romans encore en lice.
• Christine Angot, Le Voyage dans l’Est, Flammarion - 15.886 exemplaires
• Sorj Chalandon, Enfant de salaud, Grasset - 41.526 exemplaires
• Louis-Philippe Dalembert, Milwaukee Blues, Sabine Wespieser — 2687 exemplaires
• Mohamed Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes, Philippe Rey/Jimsaan - 10.097 exemplaires
Hervé Le Tellier, pour L'Anomalie, a atteint 1,054 million d'exemplaires. Là encore, des données que l'Académie intégrera, si elle le souhaite, pour affiner son choix : pousser ce qui se vend déjà, aider un ouvrage au fort potentiel, soutenir l'édition indépendante, exclure un ouvrage déjà récompensé... Il paraît que les quatre nominés ont tous assuré de leur présence.
Dans son article premier, l’Association Goncourt se donnait pour but « d’encourager les lettres, d’assurer la vie matérielle à un certain nombre de littérateurs et de rendre plus étroites leurs relations de confraternité ». Et ne venait qu’ensuite, dans l’article 2, l’attribution du prix « au meilleur ouvrage d’imagination en prose paru dans l’année ». On voit désormais que l’article, jusqu’alors inscrit en filigrane, se trouve officialisé : « Choisir un livre en pensant à ses répercussions en librairie. »
Et d’ajouter : « Et j'aimerais qu'on cesse de nous embêter avec ces histoires de quotas ou autres. Qu'on ne nous dise plus : quand on regarde le palmarès, vous n'avez donné le prix qu'à deux femmes! Il y a peut-être trop peu de femmes, mais il y a des livres qui sont très bons. Et ce n'est pas le sexe de l'auteur qui fait le livre. »
Pas facile, la vie d'un juré Goncourt.
crédit photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Paru le 18/08/2021
214 pages
Flammarion
19,50 €
Paru le 18/08/2021
329 pages
Grasset & Fasquelle
20,90 €
Paru le 26/08/2021
281 pages
Sabine Wespieser Editeur
21,00 €
Paru le 19/08/2021
461 pages
Philippe Rey
22,00 €
Paru le 20/08/2020
332 pages
Editions Gallimard
20,00 €
12 Commentaires
Cromanche
01/11/2021 à 14:29
Je lis dans votre (excellent) article : "Entre 2017 et 2019, on tombe à 319.000 exemplaires, toujours d’après l’institut [GFK], mais le Goncourt demeure la référence : seule la version des lycéens lui ferait parfois de l’ombre."
Toutefois, d'après votre partenaire Edistat, en 2019, le Renaudot (La Panthère des neiges, de Sylvain Tesson) n'a-t-il pas fait presque jeu égal avec le Goncourt (Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon, de Jean-Paul Dubois) ?
Nicolas Gary - ActuaLitté
01/11/2021 à 17:26
Bonjour
alors, à date, La Panthère des neiges a atteint (donnée Edistat) 573.720 ventes depuis sa sortie le 10 octobre 2019. Dont 143.682 en 2020 et 419.050 en 2019.
Le Goncourt de 2019, Tous les Hommes n'habitent Pas le Monde de la Même Façon a, lui, réalisé 559.296 exemplaires, avec 430.624 en 2019 et 125.665 en 2020 exemplaires.
Pas jeu égal, donc, mais dépassé en effet le Goncourt. Pour un Renaudot, c'est totalement remarquable, merci de le souligner.
Le Goncourt reste la référence des ventes, puisque le Renaudot, en moyenne "bénéficie d'une moyenne de ventes de 194.000 exemplaires. Après avoir dépassé les 300.000 exemplaires vendus à quatre reprises entre 2012 et 2016, le Goncourt des lycéens représentait une moyenne de vente de 131.000 exemplaires au cours des trois dernières années". (source GfK pour Les Echos https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/prix-litteraires-goncourt-renaudot-femina-quel-est-le-plus-vendeur-1270414)
Thierry Reboud
02/11/2021 à 01:21
Pour tout dire, ça fait un bout de temps que les articles consacrés aux prix littéraires devraient être placés dans les rubriques d'économie (éventuellement d'économie du livre) et pas vraiment dans les rubriques consacrées à la littérature. La remarque vaut évidemment moins pour votre site (toute flagornerie mise à part) puisqu'il ambitionne de refléter les divers aspects (y compris économiques donc) du monde de l'édition.
Il y a toutefois une remarque qu'on peut faire depuis quelques (nombreuses) années, c'est que les prix ont de plus en plus tendance à voler au secours du succès, c'est-à-dire distinguer des titres qui se vendent déjà très bien sans eux.
Pour reprendre les deux exemples que cite Cromanche, La Panthère des neiges ou Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon étaient, avant la remise des prix, de très bonnes ventes, du fait notamment des libraires.
Tout cela me rappelle les fringantes années 80 de ma jeunesse, quand le Goncourt avait distingué L'Amant de la jeune écrivaine Duras qui, dès le mois de septembre, caracolait déjà en tête des ventes : sans le dire, il s'agissait de rattraper la mévente relative des Egarés de Tristan (autre jeune écrivain, soit dit en passant) de l'année précédente, de telle sorte que le label Goncourt continue à être synonyme de bonnes ventes. (Ce qui n'empêchera toutefois pas la rechute avec Valet de nuit de Host qui, sauf erreur, doit être l'une des plus mauvaises ventes du Goncourt.)
D'une certaine manière, il faudrait remercier Decoin dont la remarque remet le Goncourt à sa place, celle du commerce (ce qui n'a en soi rien de déshonorant).
LOL
02/11/2021 à 06:44
« « Donc il faut réfléchir avant de voter, à tous les paramètres, et notamment celui-là. Ce n’est pas au nom du commerce, mais dans l’intérêt d’une profession qui est horriblement difficile »
Voila la preuve absolue que ce prix n'est pas (plus ?) un prix littéraire. C'est un prix commercial.
On remercie le jury pour sa franchise, peu habituelle dans ce genre de prix.
Bon, ce n'est une surprise pour personne. C'est juste plus honnête comme cela.
Marc Georges
02/11/2021 à 11:51
Affligeant que de lire tels propos.
Pensez vous que le Nobel s'embarrasse de tels critères.
Dans ce cas, pourquoi ne pas donner ce prix à Musso ou Levy.
Je remercie Didier Decoin pour sa compassion pour les librairies. Mais ses propos reviennent à faire du Goncourt l'équivalent d'une boîte de petits pois bénéficiant d'une campagne de promotion, et dont la plus grande part des ventes se fera par le net.
Cela permet de cacher le goût du risque de l'Académie Goucourt. Honorer un roman qui se vend, cela leur permet de dire : "Vous voyez nous avons raison, nous avons primé le meilleur roman". Choisir un roman pour ses réelles qualités, mais qui ne rencontre pas les foules, doit leur sembler impossible à assumer. Dommage...
Leur démarche ne peut que decredibiliser ce prix, éloigner les gens de la
Marc Georges
Libraire
Guillemette
02/11/2021 à 16:57
Pardon mais c'est quoi la pénibilité du travail de libraire ? Je veux bien entendre que ce ne soit pas facile car les clients se font rares mais de là à appeler ça de la pénibilité !
Julie
03/11/2021 à 13:41
Bonjour,
Être libraire c'est passer sa journée à porter des cartons de livres (ou de bd encore plus lourds). Aider le livreur et porter des cartons dans le magasin ou juste les déplacer pour éviter de les laisser au milieu de la boutique. Ouvrir les dizaines de cartons, les vider, puis manutentionner la marchandise. Se baisser se lever se plier se rebaisser, se balader avec des piles de livres, se recasser le dos pour porter à nouveau les cartons. Ça dans un sens (pour les vider) ou dans l'autre pour les remplir. Ça c'est juste le travail de manutention. Reste le fait de travailler dans le commerce avec des horaires pas toujours très sympas (du lundi au samedi de 8h30 à 19h30 par ex., samedi jusqu'à tard, 24 décembre, 31 décembre, jours fériés etc.).
Avoir une activité physique et intellectuelle en même temps. Et pour les librairies indépendantes c'est la paperasseries sans fin en plus.
Avec ça un salaire qui ne dépasse pas les 1400 euros ( quand on est bien payé. J'ai 13 ans de librairie derrière moi et je gagne à peine plus que le SMIC).
Avec ça, les produits il faut les connaître. Donc passer son temps libre à lire et pas toujours ce qu'on a envie.
Être libraire c'est un beau métier que j'aime, qui n'est pas comparable avec un travail en usine c'est sûr, mais qui est tout de même bien loin des fantasmes qu'on peut en faire à son sujet.
Marc Georges
03/11/2021 à 17:54
C'est l'envers (voir l'enfer) du décor que seuls les gens du metier connaissent. Avec des salaires misérables et une considération sociale très relative
Le métier a beaucoup changé. Trop souvent dans la chaine du livre, le libraire n'est vu que comme un distributeur. Quand à son rôle de prescripteur, il n'existe qu'à la marge du metier
L'évolution des circuits de distribution (grandes surfaces culturelles, e-commerce) a fortement contribué à cet état de fait. Mais la faute originelle revient à la chaine du livre qui a placé la noblesse du métier dans l'édition. Il y a bien eu la Loi Lang. Mais elle ne doit son existence qu'à la volonté des éditeurs de préserver un plus large circuit de distribution pour éviter à ceux-ci de subir les diktats des grands groupes de distribution. Il n'y a pas eu de réelles politiques de valorisation du circuit de distribution librairies, ou si peu.
Etre libraire au XXI siècle, c'est une forme de sacerdoce, bien de l'utopie que représente, aux yeux d'un grand nombre, ce metier.
LOL
04/11/2021 à 07:55
« Avec ça un salaire qui ne dépasse pas les 1400 euros ( quand on est bien payé. J'ai 13 ans de librairie derrière moi et je gagne à peine plus que le SMIC). »
Savez-vous que 99% des auteurs que vous vendez rêveraient d'un tel « salaire » ? Chez nous, il s'agit d'un revenu, que l'on touche quand l'éditeur le décide, souvent PLUSIEURS ANNÉES après avoir travaillé... sachant qu'une énorme partie de notre travail n'est pas payé.
Alors, je veux bien reconnaître que vous êtes mal payé pour votre travail. Mais vous êtes un maillon privilégié en regard de l'exploitation des auteurs qui sont à la base de votre métier.
Julie
04/11/2021 à 12:29
Si vous le dites.
Je n'avais pas compris que c'était un concours à celui qui gagne le moins.
J'attends le prochain commentaire qui va nous dire qu'on est vraiment pas sympa de nous plaindre alors que nous faisons un travail qu'on aime.
Ça peut aller loin. Entre les imprimeurs, les livreurs, etc. Je ne suis pas sûre qu'ils soient mieux lotis, et qu'ils aient, eux, vraiment eu le choix de carrière.
Et je suis d'avis que ce n'est pas en moquant les salariés qui informent sur les conditions de leur travail que votre problème de valorisation va changer.
Peut être devriez vous changer de voie ?! Pourquoi venir travailler en librairie 🙂
LOL
05/11/2021 à 07:06
Si tous les auteurs mal payés venaient travailler en librairie, les librairies fermeraient... faute d'ouvrage à vendre ;-)
Marc Georges
05/11/2021 à 11:38
Je comprends que les auteurs ne ssebentent pas bien rémunérer pour leur travail. Mais aujourd'hui nombre de gens se déclarent auteur, alors qu'ils ne le sont pas. On rencontre la même problématique dans la peinture, la photographie,.. . Cela étant dit, imaginons un système où l'auteur vende directement son livre, en assumant les frais d'impression, de distribution, de local,... Faite le calcul. Pour générer un revenu de l'ordre du smic, il lui faudra vendre 3000 exemplaires par an et y consacrer un temps complet où les 35 heures par semaine seront explosées. Autre question, pourquoi les auteurs auto-edités qui rencontrent un succès, in fine choisissent d'être édité par une maison d'édition ? Si le pâtissier fait de mauvais gâteaux, malgré son travail, il sera mal payé Tout cela pose la question de la définition d'un auteur ? Un travailleur produisant un produit ou un artiste créateur d'une œuvr. Cette réflexion sur la rémunération des auteurs mérite qu'on s'y arrête. Une réforme doit être envisagée.