Le Centre national du livre a récemment établi un bilan partiel des aides versées aux auteurs pour les soutenir pendant la crise sanitaire, à l'origine de baisses d'activité. État et organismes de gestion collective ont eux aussi contribué au soutien financier des auteurs, d'une manière plutôt généreuse, mais aucune évaluation précise ne permet de juger de l'efficacité de cette multitude de dispositifs.
Le 17/12/2021 à 16:25 par Antoine Oury
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Publié le :
17/12/2021 à 16:25
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Souvenons-nous : en quelques jours, en début d'année 2020, le coronavirus est passé de rumeur lointaine à urgence sanitaire mondiale plongeant le pays dans un premier confinement, pour presque deux mois. Le secteur du livre se pliait comme les autres aux injonctions, et plusieurs éléments le mettaient presque totalement à l'arrêt.
Fermetures des librairies et des bibliothèques, annulations de festivals et salons et même reports de parution offraient une perspective peu engageante pour les auteurs, en termes de revenus.
Dès le mois de mars, les artistes-auteurs étaient concernés par le fonds de solidarité mis en place par le gouvernement, doté à hauteur d'un milliard €. Les conditions pour y accéder étaient toutefois complexes, et peu adaptées : un numéro de SIRET, correspondant à une entreprise, se trouvait alors exigé, excluant de fait de nombreux auteurs.
Parallèlement à cette première aide d'État, le Centre national du livre annonçait une aide d'urgence d'un montant de 1 million €, sur les 5 millions consacrés à l'ensemble de la filière en 2020. Cette somme du CNL a rapidement été complétée par les apports de différents organismes de gestion collective, qui redirigeaient vers cette aide les sommes collectées au titre de la copie privée consacrées au financement de l’action culturelle ainsi les irrépartissables issues de la gestion collective obligatoire.
Cinq organismes de gestion collective ont ainsi complété l'aide du CNL : la Société Française des Intérêts des Auteur de l'écrit (SOFIA), le Centre français de la copie (CFC), la Société civile des auteurs multimédias (Scam), la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) et la Société des auteurs des arts visuels et de l'image fixe (SAIF). Elles l'ont abondé à hauteur de 1,2 million €, portant la dotation du fonds à 2,26 millions €.
Dans le détail, la SOFIA a contribué à hauteur de 450.000 €, le CFC à hauteur de 400.000 €, la Scam pour 150.000 €, l'ADAGP pour 150.000 € et la SAIF à hauteur de 50.000 €.
La gestion de cette aide CNL/OGC a été confiée à la Société des Gens De Lettres (SGDL), association de défense des intérêts des auteurs. Un choix de l'État largement critiqué par certains auteurs, inquiets de la transparence des transactions, apparemment justifié par l'urgence des premiers mois de 2020. Pour la SGDL, la charge aura été délicate à supporter, avec une organisation particulièrement lourde pour les équipes : en 2021, l'aide du CNL a finalement été gérée... par le CNL.
Pour maintenir une importante source de revenus pour de nombreux auteurs, précisons enfin que les aides versées par le CNL et les organismes de gestion collective aux organisateurs d'événements littéraires (festivals, salons) ont été maintenues, à la condition expresse que les paiements aux auteurs soient effectués malgré les annulations de l'année 2020.
À ces aides nationales se sont ajoutés des apports régionaux, qu'il serait trop fastidieux de détailler ici.
En 2021, un important changement survient : le fonds de solidarité s'ouvre plus largement, avec la levée de l'obligation du SIRET. Comme nous l'indiquait récemment Pascal Perrault, directeur général du CNL, l'aide du Centre devient alors un « complément » de celle de l'État, en s'adressant aux auteurs pour lesquels le Fonds de solidarité est moins avantageux (les deux aides ne sont pas cumulables).
De fait, les organisations de gestion collective ont cessé leurs apports à l'aide du CNL, comme la SOFIA. Et, si l'Assemblée nationale a prolongé le dispositif permettant de rediriger les sommes affectées à l'action culturelle, il ne semble parfois plus d'actualité : « Aucune décision n’a été prise en ce sens pour le moment au sein de la SOFIA », nous indique-t-on ainsi. Toutefois, la SOFIA a prolongé « si nécessaire » le principe du versement de l'aide aux organisateurs d'un événement annulé, pour le maintien de la rémunération des auteurs intervenants. Interrogé, le Centre français de la Copie (CFC) n'a pas répondu à nos demandes.
Pour la première aide CNL/OGC, d'un montant total de 2,3 millions €, 2311 aides ont été distribuées entre le 10 avril et le 1er octobre 2020, pour une aide de 3333 € par auteur aidé en moyenne (2.259.883 € d'aides au total). Le Centre national du Livre a détaillé les régions des bénéficiaires.
53 % des bénéficiaires de l'aide CNL/SGDL sont des autrices, et la SGDL propose aussi un bilan de la répartition selon les secteurs éditoriaux.
En 2021, la seconde aide du CNL, sans les OGC, donc, a permis de distribuer 761.625 € d'aides à 209 auteurs - un bilan provisoire. Le delta par rapport au nombre de bénéficiaires de la première aide s'explique par le changement relatif au fonds de solidarité, auquel, semble-t-il, plus d'auteurs auraient eu accès en 2021, par rapport à 2020.
Concernant ce fameux fonds de solidarité, justement, les données fournies par le gouvernement sont pour le moment parcellaires. Interrogé, le ministère des Finances renvoie vers un tableau de bord qui affiche des données très générales. Selon Pascal Perraud, directeur général du CNL, le fonds de solidarité aurait permis de verser « 246 millions € à des auteurs, tous secteurs confondus », en 2020. Le ministère des Finances n'a pas fait suite à nos demandes de précisions.
Du côté des organisations de gestion collective, les dispositifs d'aides gérés directement, pour les auteurs de l'écrit, sont rares : seule la Scam en a mis un en place. Pour le spectacle vivant, la SACD a proposé une aide individualisée, et ADAMI, SPEDIDAM et SACEM en ont fait de même pour les artistes-interprètes.
La Scam a ainsi ouvert, dès le début de la crise, un fonds « Scam Covid-19 ». « Doté de 850 000 €, il a permis d’aider 375 auteurs au cours de l’année 2020, pour une aide moyenne de 1700 € [soit 637.500 € distribués environ, NdR]. Le solde non attribué en 2020 est reporté en 2021 », indique l'organisation. D'après elle, les auteurs déclarant leurs droits d’auteur en traitements et salaires ont été les principaux bénéficiaires de ces aides « compte tenu des dysfonctionnements du fonds de solidarité national à leur égard ».
Selon le rapport 2020 de la Scam, qui évoque ce fonds, 750.000 € proviendrait des « irrépartissables », droits d'auteur qui n'ont pu être versés par manque d’information permettant d’identifier soit les œuvres concernées, soit les auteurs et autrices. Le reste du fonds a été tiré du fonds d’aide social Scam, de l’excédent de gestion de 2019 et des économies anticipées sur les budgets culture et communication du fait du COVID, nous explique-t-on.
Un profilage basique de bénéficiaires a été réalisé par la Scam :
Les demandeurs du fonds COVID selon la situation géographique de leur résidence :
- 63,5 % Paris-IDF
- 33 % Province et outre-mer
- 3,5 % Étranger
Profils des bénéficiaires :
- 48% de femmes et 52% d’hommes
- 66% des célibataires avec ou sans enfants
- 24% des couples avec enfants
- 10% des couples sans enfants
Les bénéficiaires de ce fonds d'aide pouvaient le cumuler avec le fonds de solidarité gouvernemental et l'aide d'urgence CNL/SGDL, mais aucune donnée sur un tel cumul n'est disponible.
La Cour des comptes s'était penchée, en juillet dernier, sur les conséquences, en 2020, de l'épidémie de Covid sur les organisations de gestion collective, un travail mené par la Commission de contrôle des organismes de gestion des droits d'auteur et des droits voisins. Cette dernière relevait « [u]ne forte mobilisation de soutiens financiers au profit des ayants droit », sans pour autant en observer l'impact — ce qui n'est pas sa mission première, cela dit.
ETUDE: neuf régions font le bilan (provisoire) de la crise sanitaire sur le livre
En 2020, le nombre de bénéficiaires de l'aide d'urgence CNL/SGDL et du fonds Scam Covid-19 s'élève à 2686 personnes — en considérant qu'une partie d'entre eux a peut-être cumulé les deux aides. Le ministère de la Culture estimait à 2500 le nombre d'auteurs affiliés à l'AGESSA, gagnant donc plus de 700 € par mois de leur activité d'écriture — la couverture des dispositifs d'aide serait donc optimale.
Mais ce serait ignorer quelque 55.000 auteurs, illustrateurs et traducteurs, qui exercent une activité principale, avec leur activité d'auteur en annexe : pour certains d'entre eux, la perte de revenus a pu être effective, avec des conséquences parfois importantes. Mis en regard, les deux chiffres interrogent, entre 3000 bénéficiaires d'aides et plus de 50.000 auteurs.
Force est ainsi de constater, plus d'un an et demi après le début d'une crise aux conséquences non négligeables pour les auteurs, que les dispositifs de soutien, leur répartition et leur efficacité, n'ont fait l'objet d'aucune évaluation. Elle permettrait pourtant de connaitre la situation financière des auteurs, en particulier des plus précaires, pour faire évoluer l'aide, si besoin.
Photographie : illustration, Kārlis Dambrāns, CC BY 2.0
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
2 Commentaires
L'auteur masqué
17/12/2021 à 18:48
Toutes mes demandes aux différentes aides ont été rejetées, en 2020 comme cette année, je n'ai pas d'autre activité professionnelle. A l'issue de mon dernier contrat mon éditeur ne signait plus rien (wait and see), les éditeurs ont beaucoup de bouquins sur le marbre et ne s'empressent pas de signer quoique ce soit, leurs catalogues de sorties sont pleins. Je me demande comment mes collègues ont pu bénéficier de ces aides, personnellement je n'en connais aucun qui y ait eu droit.
Azor
08/06/2022 à 17:46
Il manque selon moi un élément de poids dans cet article, qui omet de préciser que les aides proposées aux auteurs furent conditionnées aux bénéfices qu'ils "auraient dû" encaisser si le Covid n'était pas venu mettre des bâtons dans les roues. Autrement dit: pour être éligible, il fallait avoir eu la perspective d'un gain qui venait à faire défaut pour cause de pandémie. Si l'on sait que, pour de nombreux auteurs, les gains ne viennent malheureusement pas de leur travail d'auteur mais d'un gagne-pain annexe ou pas de gagne-pain du tout, les aides ont surtout servi, selon moi, à compenser les revenus manquants des auteurs qui ont habituellement des revenus d'auteur. CQFD: les aides ont aidé ceux qui en avaient le moins besoin…