Ma toute première page, toute, toute première page
Elles se ressemblent, passé le carton de la couverture, dont le dos gémit dans un mouvement inconnu encore. Ces premières pages passées distraitement, avant de parvenir au sésame : le premier chapitre d’une nouvelle histoire. Ces premières pages, à peine regardées, dégagées du pouce, dans un feuilletage méthodique : une, deux, trois peut-être, quatre rarement, recto-verso méticuleusement évacuées… Ah, ces toutes premières pages.
Le 22/10/2021 à 16:31 par Nicolas Gary
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Publié le :
22/10/2021 à 16:31
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Elles s’appellent fausses gardes, quand elles sont deux, ces pages blanches amenées peut-être à recueillir une signature, lors d’une rencontre. Et puis, toujours factice, lui, aussi, le faux-titre, là pour rappeler le nom du livre, nu, posé là au milieu du vide.
Ensuite seulement, en grande pompe, survient le titre, cette fois encadré du nom de l’auteur, de l’autrice, et de l’éditeur, avec une hiérarchie scrupuleusement respectée. Au dos, ces choses auxquelles plus personne ne prête attention : les copyrights, pour la couverture, le texte, éventuellement d’autres crédits d’œuvres citées, ainsi que cet ISBN, et pour conclure le dépôt légal. Toutes ces choses, que l’on apprend dans ses premiers cours de fabrication, sont également celles qu’aucun lecteur ne remarque. D’ailleurs, elles n’existeraient pas que le livre en serait totalement différent — mais qui s’en préoccupe.
Ce qui importe, ce sont les premières véritables lignes, délicieusement justifiées sur la moitié de la page, un clair-obscur que perturbe tout juste le nom du chapitre — ou plus prosaïque, son numéro.
Cette petite histoire de page-turner rappelera aux amateurs le Petit éloge de la première fois, que Vincent Wackenheim avait produit chez Gallimard. L’auteur y inventoriait avec plus d’assiduité que Prévert des premières fois, toutes celles que l’on imagine – avec l’ingéniosité attendue que cette expression, « la première fois », pouvait porter de charge érotique.
La première fois, c’est une affaire de mémoire et d’imagination — ou de surprise. Il y aura le temps d’avant, et sa part de mystère, de peur, d’appréhension de ce qui doit être, et la trivialité d’après, quand on sait. On bombe le torse, ici comme ailleurs, à Bamako comme à Denfert-Rochereau. Cela vaut pour cette première fois-là, et pour toutes les autres, attendues, espérées, explicitées. Comme toujours, la réalité se jouera de nous, le retour de bâton sera puissant.
Vincent Wackenheim – Petit éloge de la première fois
Mais il en est bien une, de première fois, qui ressemble à toutes les autres : celle de ce nouveau livre ouvert à l'appétit dévorant.
Il n’existe pas deux premières fois dans la lecture : elle est une, multipliée autant de fois que l’on aura choisi d’ouvrir un livre. Et même si ce dernier était repris pour la énième fois, s’appliquerait toujours une méthode sans discours : sauter les premières et inutiles pages qui vous séparent du sentier.
« Enfer ou ciel qu’importe », clamait Baudelaire, le goût du nouveau, du style, de la plume, des audaces nous porte à évacuer fissa, systématiquement, ces premières pages. Les sacrifiées sur l’autel de nos désirs ardents de lecteurs insatiables, les oubliées de tout bouquet, qui n’existeront que par procuration.
Et si la première fois, c'est une erreur, toutes les suivantes, comme disait Malraux, c'est fait exprès !
Vils, vils lecteurs !
Crédits : Olga Tutunaru/ unsplash
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1 Commentaire
jujube
25/10/2021 à 05:42
Bravo, Monsieur Nicolas Gary, pour ce texte assez troublant (quelle chance!). El voilà le livre érotisé, ses premières pages radiographiées (la foule de détails invisibles que vous y avez vus et honorés), mais surtout offertes au mystère, au désir, à l'attente, à la surprise et à la liberté de les interpréter selon le spasme du moment, le brin de fantaisie ou de passion, la rage ou la douceur, bref : "segun la regalada gana", comme on dit ailleurs.
La première fois, la découverte mais qui vire parfois à changeante posture ou reste alors clouée dans la mémoire et se répète dans le souvenir. A tort et à travers, peut-être; avec raison : toujours.
La première fois, la première étrangère: cher Brassens parti trop tôt.
Merci pour vos mots. Vous êtes capable d'écrire, avec saveur, n'importe quel article!
Loin de moi l'idée médiocre de vous flatter!
Cordialement.