L'aventure des Chroniques de la Lune noire, saga entamée en 1989 par Olivier Ledroit, au dessin, et François Froideval, ne se résume pas en quelques mots. On notera simplement qu’au commencement, un souci informatique provoqua la perte du roman que Froideval avait entamé. Qu’importe, elles verront tout de même le jour, en BD. 13 ans après le 14e tome, Les Chroniques de la Lune noire, ce sont, en bande dessinée, plus de 559.000 exemplaires vendus (données Edistat). Et un redémarrage s’amorce avec Jeanne-A Debats quand surgit un roman, chez Leha.
Sorti ce 10 septembre, le premier tome, De Gueules, représente l’aboutissement d’une longue aventure, conviennent volontiers les coauteurs, François Froideval et Jeanne-A Debats. Mais pour l’éditeur, Jean-Philippe Mocci, c’est aussi un parcours du combattant qui se concrétise. Entretien à trois voix.
ActuaLitté : Que représente la série Chroniques de la Lune noire dans le cadre des développements de la maison ?
Jean-Philippe Mocci : Cette novélisation fait partie des premiers projets un peu fous que nous avions en tête en lançant Leha il y a un peu plus de 5 ans. C’est donc une grande satisfaction de le voir aboutir et surtout de proposer un roman d’une telle qualité, fidèle à l’histoire tout en renouvelant sa narration. Le récit sous forme de roman apporte beaucoup de profondeur à l’histoire. D’ailleurs, les premiers retours sont excellents tant de la part des fans de la BD que de celle des lecteurs qui ne la connaissaient pas, et c’est franchement réjouissant !
Cette sortie a été fortement soutenue par les libraires avec une excellente mise en place et un tirage à 10.000 exemplaires. C’est une première pour Leha dans le cadre d’un tirage initial et cela symbolise le franchissement d’un cap. Cela va se confirmer dans les prochaines semaines, car dès mi-octobre, nous lançons Three Dark Crowns, une série de fantasy young adult américaine attendue avec impatience, également tirée à 10.000 exemplaires. Et, fin octobre, le premier tome de la Trilogie de Licanius (là aussi une série de fantasy anglo-saxonne) qui approche également les 10.000 exemplaires.
Pourquoi cette aventure ?
Jean-Philippe Mocci : Il n’a probablement pas échappé aux personnes qui suivent la littérature imaginaire que Leha a un certain goût pour la fantasy… Que ce soit avec la série Le Livre des Martyrs de Steven Erikson, qui vient de dépasser les 50.000 exemplaires ou les nouvelles traductions de séries anglo-saxonnes au succès international que nous lançons sur l’année qui vient. Bien entendu Licanius Trilogy de James Islington et Three Dark Crowns de Kendare Blake que j'évoquais, mais aussi PowderMage Trilogy de Brian McClellan, Path to Ascendancy de Cameron Iam Esslemont, The Faithfull and the Fallen de John Gwynne.
Mais il y aussi la fantasy française avec le diptyque du Livre des Purs d’Olivier Martinelli, le Cycle d’Alamänder d’Alexis Flamand, Louis le Galoup (en jeunesse) de Jean-Luc Marcastel…
Cette aventure a un goût particulier, car les Chroniques et leur créateur, François Froideval, sont aux origines de l’heroic fantasy française, je crois qu’on peut parler de véritable monument du genre. Cette BD mythique a aussi la particularité de faire écho au plus célèbre des jeux de rôle dont François a été un des auteurs aux Etats-Unis quand il était un proche collaborateur du légendaire Gary Gygax.
On se retrouve donc à la convergence de différents médias qui ont en commun l’imaginaire. Comme nous vous l’avions dit lors de notre lancement, nous avons la volonté de casser les murs qui existent parfois dans cet univers : réunir deux des plus grands auteurs de l’imaginaire français pour cette novélisation coche pas mal des cases de ce que nous voulons faire. Manque plus qu’à finaliser un jeu de rôle sur les Chroniques de la Lune Noire et la boucle sera bouclée…mais ceci est une autre histoire !
Dans les siècles des siècles, les Princes Démons Lucifer et Pazuzu s'affrontent en un jeu cruel et le monde est leur échiquier. Leurs pions vivent ou meurent, rient ou pleurent au gré de leur fantaisie démoniaque. Ainsi, Haagendorf, empereur de Lhynn, s'est vu prédire la fin de son règne lorsque l'Archer Chien de métal viendrait. En attendant, il tente de préserver ce qui peut l'être de son empire en s'alliant avec un ordre religieux qui ne rêve que de le détrôner : les Chevaliers de la Lumière, menés par leur retors commandeur : Frater Sinister.
Mais c'est sans compter La lune Noire et l'archimage Haazel Thorn. Ou bien, peut-être que la rencontre fortuite du jeune elfe voleur Pile-ou-face, armé de ses deux épées bavardes, et d'un demi-elfe sans nom à la lame flamboyante pourrait renverser le jeu, la table et les joueurs...
Reste que l'aventure n'est pas aussi ancrée dans l'histoire que cela : Jeanne-A Debats, déléguée artistique du
Festival international des Utopiales de Nantes, a avancé à pas de loups dans cette novélisation.
Comment avez-vous abordé cette écriture ?
Jeanne-A-Debats : Cela a d'abord commencé comme une blague ou un challenge entre François et moi. Un chiche-que-t'es-pas-cap. J'y suis donc allée avec une certaine légèreté, au départ, pour rire. Puis quand il est devenu évident que cela avait cessé d'être un jeu, nous avons établi, François et moi, un mode de travail qui nous convenait à tous les deux. Je lui proposais des choses (des péripéties pour remplir "le vide entre les cases", un certain type de réaction pour tel ou tel personnage, l'introduction d'un autre – principalement des PNJ, si j'ose dire (sourires) – le développement d'un troisième, etc., etc.). Il validait ou pas, proposant autre chose dans ces cas-là, j'écrivais, il repassait dessus. Cela a vraiment été le fruit d'une collaboration très étroite, très fructueuse et très agréable.
Cet exercice est une première pour vous : difficile de s’approprier l’univers d’un autre ?
Jeanne-A-Debats : L'univers de la fantasy ne m'est pas étranger ni celui du JDR, après tout, ils sont issus de nos générations à tous les deux (surtout celle de François, évidemment), mais c'est peu dire que, si c'est un univers où la lectrice que je suis peut aisément se faufiler, il en est tout autrement pour la créatrice. Ma fantasy personnelle est urbaine, contemporaine, et sociétale, celle de François est picaresque, épique et médiévale. Mais nous nous retrouvons sur plusieurs points, je pense : l'humour (fût-il pourri), le symbolisme mythologique et un sens aigu du dérisoire derrière les rideaux dorés de la grandeur.
J'ai posé énormément de questions, lu plusieurs fois les différents volumes. Nous avons eu d'épiques discussions de vocabulaire et très peu de divergences fondamentales qui toutes ont trouvé une issue. Le fait est que j'ai trouvé ça très confortable. Finalement, quasi Ghost Writer, c'est cool aussi. Et puis j'adore tenter de nouvelles choses, tâter de nouveaux genres, je n'ai fait que cela avec Navarre, mon personnage récurrent.
À quel moment vous êtes-vous rendu compte que ça marchait dans l’écriture ?
Jeanne-A-Debats : Au moment où François a demandé : « C'est dans les Chroniques ça, ou c'est de toi ? » Il était incapable de faire la différence et c'était de moi. J'ai su qu'on y était.
Le mot de la fin devait revenir à François Froideval, qui avec cette publication, donne finalement vie au projet qu'il avait initialement imaginé.
La novélisation, pourquoi l’accepter ?
François Froideval : Pourquoi pas ? Au tout départ, c’était un roman. J’avais écrit plusieurs chapitres, mais j'ai tout perdu en n'ayant pas sauvegardé le tout. C'était à l'époque sur une Apple 2. Si l'ordinateur s'éteignait, tout était perdu. Et puisque je n’aurai jamais pu réécrire tous ses chapitres, ça s’est transformé en BD par la force des choses.
Comment accepte-t-on d’ouvrir son univers à une autre forme de narration ?
François Froideval : Ma seule exigence a été que l’univers soit respecté, que l’œuvre ne soit massacrée. Je travaille avec Leha depuis 5 ou 6 ans : en tant que directeur de collection, éditeur... Donc ça s’est fait naturellement. Et la forme narrative n’est finalement pas si éloignée de la forme bande dessinée. Simplement, on passe d’une forme directe, le dessin, le film, à une forme descriptive. C’est une autre approche, mais l’histoire est la même. Avec l’image, on n'a pas besoin de nourrir l’imagination, on montre. Les décors, voilà la description en bande dessinée.
Comment s’est passé le travail en duo avec Jeanne-A Debats ?
François Froideval : Ça s’est vraiment très bien passé. L’univers lui plaisait, ça l’amusait. J’aime son style, sa manière d’écrire. Je me permettais éventuellement de faire des changements. Elle proposait, je repassais derrière pour corriger que ça sonne plus juste, en lien avec l’univers. Je proposais également. On a véritablement travaillé à quatre mains. Tout dépend de l’auteur qu’on a en face de soi pour savoir si ça va fonctionner ou pas. Si on amène tout à soi, on essaye de s’approprier la chose, de la dévoyer, ça ne pourra pas fonctionner. Avec elle, rien de tout ça.
Pour les lecteurs qui ont suivi les aventures des Chroniques de la Lune noire, comment les amener à cette nouvelle œuvre ?
François Froideval : Je n’ai pas à les amener. Si ça les intéresse, c’est bien, si ça ne les intéresse pas, c’est comme ça. Je ne force jamais personne à lire mes œuvres, c'est normal. Chacun est libre. Après, les quelques retours que j’ai reçus sont positifs.
Propos recueillis avec Hocine Bouhadjera - crédits photo : Editions Leha
Paru le 10/09/2021
348 pages
Leha Editions
22,00 €
Paru le 15/10/2021
380 pages
Leha Editions
20,00 €
Paru le 15/10/2021
640 pages
Leha Editions
25,00 €
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