Lorsqu’Internet s’arrache des épreuves non-corrigées
Des exemplaires gratuits des livres à paraître, communément appelés « épreuves non-corrigées », sont souvent envoyés par les maisons d’édition. Ils arrivent alors entre les mains de critiques, de libraires et, plus récemment, de personnalités ou d’influenceurs. Avec un double objectif promotionnel et pratique, ces versions permettent de découvrir un roman en amont, mais aussi de susciter l'enthousiasme. Or, ces livres n’ont pas vocation à être vendus, parce qu'inachevés. Pourtant, les sites de revente sont devenus une mine d'or, avec des trouvailles au prix parfois exorbitant…
Le 21/08/2021 à 08:56 par Valentine Costantini
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Publié le :
21/08/2021 à 08:56
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Les premières versions inachevées de romans classiques sont depuis longtemps considérés comme des objets de collection de choix – en particulier les ouvrages datant du début du XXe siècle : à l’époque, de telles copies étaient rares, mais aussi et surtout confectionnées dans des matériaux de grande qualité.
Les grands classiques sont donc bien évidemment concernés par cette pratique – tels que The Old Man and the Sea (dans sa version française Le Viel Homme et la Mer) de Hemingway, qui serait actuellement en vente pour 28.000 $ –, mais c’est aussi le cas pour des œuvres plus récentes – comme une version non-corrigée du premier tome de Harry Potter, vendue à plus de 29.000 $. Sans surprise, le monde de l’édition a exprimé son mécontentement face à la situation.
« La politique de FSG ne tolère aucune revente de copies d’épreuves non-corrigées », a déclaré Sarita Varma, directrice de la publicité pour Farrar, Straus et Giroux. « Chaque exemplaire indique clairement qu'il n'est pas destiné à la revente. »
Très peu d’auteurs peuvent être concernés par une revente d’épreuves sur le net – quoiqu'assez le sont pour que ce soit un problème récurrent. Ceux dont le lectorat peut se montrer passionné sont les premières victimes, puisque ces ouvrages deviennent rapidement des objets de collection aux yeux des acheteurs. Une relique, en quelques sortes.
Source : eBay
Les épreuves non-corrigées, lorsque confiées à des lecteurs, sont aussi un moyen pour les maisons d’édition de créer l’évènement autour des livres avant leur sortie en librairie. Certaines personnalités sur les réseaux sociaux vont notamment organiser des journées afin de dévoiler la couverture d’un nouveau roman. De plus, en oubliant les l’efficacité des réseaux sociaux à révéler des informations à l’avance – un post sur Instagram suffit –, il existerait des communautés entières qui existent exclusivement autour du commerce ou de l’échange d’épreuves non-corrigées. Un écosystème tout entier s’est donc développé, de quoi donner du fil à retordre aux éditeurs.
ÉDITION: les épreuves, nouvelle lubie des collectionneurs
D’autant que la question semble se poser pour les lecteurs : une fois le livre enfin publié, qu’advient-il des versions non-corrigées ? Que valent-elles réellement, et pourquoi ne seraient-elle finalement pas disponibles à la vente ?
Alors que la revente d’une version non-corrigée d’une œuvre post-mortem, comme à une collectionneur de livres rares, est une pratique considérée comme acceptable, les choses sont moins claires pour le cas d’un auteur ou une autrice encore en vie. Dans ce cas, en effet, l’argent généré par la vente ne revient ni à l’auteur, ni à l’éditeur. Serait-ce alors un cas de vente d’occasion revisitée ?
Source : eBay
« Cela a toujours été un casse-tête avec les épreuves non-corrigées », a déclaré David Leviathan, éditeur et directeur éditorial de Scholastic.
Les éditeurs se voient parfois obligés de prendre des mesures de sécurité supplémentaires avant des publications très médiatisées. Dans le cas du premier livre de la nouvelle trilogie de Maggie Steafwater, Call Down the Hawk (2019), Scholastic a produit moins d’une centaine d’épreuves, en prenant soin de les numéroter et de les filigraner, de manière à pouvoir être tracées.
« À BookExpo, ou à la convention de la American Library Association, vous verrez des gens prendre littéralement chaque version non-corrigée qu'ils peuvent trouver et les signer. Les auteurs plaisantaient : "Dois-je retirer ça d'eBay ?" parce qu'ils ne voulaient pas de nom, ils voulaient seulement une signature. »
Les épreuves non-corrigées ne sont pas des livres finis, même s'ils sont lus comme tels. Christine Smallwood, qui a récemment publié The Life of the Mind (Hogarth), s’est exprimée sur le sujet : « Toutes les virgules comptent, et j'ai fait des changements qui étaient plus importants que cela », a-t-elle déclaré. « Si nous nous préoccupions vraiment du genre, nous ne diffuserions probablement que des livres tout faits. Quel est l'intérêt de publier si l'industrie dit que l’épreuve est assez bonne ? »
Sources : WSJ et Business Hala
Crédits photo : Freestocks / Unsplash
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10 Commentaires
Arthur Magnus
21/08/2021 à 12:14
Bonjour Valentine Costantini,
Si votre papier pose de bonnes questions, je suis surpris et déçu que sur ActuaLitté, on décrive des épreuves non corrigées comme "Des exemplaires gratuits des livres à paraître" : ce sont les premiers mots du chapô, et donc ce que retiendra le lecteur (non avisé) pressé.
Il faut en effet lire l'intégralité de l'article pour qu'enfin, une fois le dernier paragraphe atteint, soit indiqué que "Les épreuves non-corrigées ne sont pas des livres finis"... (ce qui est d'ailleurs le cœur du "problème".)
Team ActuaLitté
21/08/2021 à 12:27
Bonjour,
Merci de votre judicieuse remarque. Nous le précisons immédiatement.
Félicie
21/08/2021 à 13:44
C'est malheureusement le problème avec les "nouveaux influenceurs/lecteurs".. beaucoup prennent les services presse pour se faire de l'argent derrière.
Et tant qu'il y a aura des personnes pour les acheter.. le trafic continuera.
C'est dommage !
Anaïs
29/08/2021 à 18:24
Si les maisons d'édition arrêtaient d'envoyer des épreuves non corrigées aux blogueurs qui n'en veulent pas, sans leur demander s'ils souhaitent le recevoir, le problème serait en partie réglé.
Forbane
22/08/2021 à 11:05
J'en ai moi-même été victime.
Il est anormal, regrettable et perturbant de voir son livre pas fini, pas complètement corrigé, se retrouver à la vente sur des sites en ligne.
Bien que mon lectorat soit fort modeste numériquement parlant, le procédé n'en est pas moins le même et pour l'auteur, il est tout aussi désagréable.
LOL
23/08/2021 à 05:39
Il y a deux choses dans votre propos :
- la première est que vous vous sentez trahie. On peut le comprendre. Comment avez-vous choisi votre bêta lectorat ? Lui avez-vous fait signer un contrat ? Si oui, il y a violation du contrat et des poursuite possible. Si non, malheureusement, vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous. Il vous suffit de vous débarrasser de la personne fautive et, éventuellement, de la dénoncer publiquement afin que plus un auteur ne la prenne dans ce rôle.
- la seconde est plus générale. En quoi, hormis la trahison évoquée ci-dessus, est-ce un problème d'avoir une épreuve non corrigée qui se balade ? Comme il est dit dans l'article, il s'agit d'une relique que les fans s'arrachent. C'est tout. À part le fait que l'auteur ne TOUCHE PAS D'ARGENT dessus. Est-ce le problème ? Le livre n'est pas commercialisé, donc il s'agit peu ou prou d'un exemplaire unique. Où est le problème ? Je vois cela comme la marque d'un auteur que de subir ce genre de pratique...
Marino
22/08/2021 à 16:46
Oui génial. J'en ai récupéré. Patir à la découverte des coquilles ...
GP
23/08/2021 à 14:10
Le préjudice serait moindre si les journalistes, libraires et influenceurs ne rechignaient pas à télécharger et lire sur tablette ou liseuse un pdf, ce que proposent aussi les éditeurs. Mais non ! Beaucoup refusent un ouvrage dématérialisé. Les épreuves sont un coût important pour l'éditeur, une somme qui pourrait être utilisée plus efficacement, plus concrètement, lors de la sortie d'un ouvrage (frais de déplacement auteur pour la promotion, salons du livres...), pour un contact direct avec le lecteur. Bref pour ce qui est essentiel.
Yannick EMERAUD
29/08/2021 à 12:08
C'est vraiment des choses qui m'exaspèrent. Je suis bibliothécaire et il m'arrive de travailler sur des Ateliers d'écriture. J'ai créé un fonds d'épreuves non corrigées avec le doublon édité afin de montrer aux gens la genèse de l'écriture d'une œuvre.
Avec ce genre de réactions, mon libraire ne va plus pouvoir m'en offrir pour la bibliothèque.
Forbane
29/08/2021 à 13:04
Depuis l'avènement des ordinateurs, il n'existe plus de "genèse" d'une oeuvre qui soit consultable... Sauf pour les écrivains qui continuent d'écrire sur du papier, avec un stylo ou une machine à écrire, mais ils sont extrêmement rares.
Les épreuves non corrigées reliées dont on parle ici ne constituent en rien une genèse : elles correspondent déjà pratiquement au livre fini. Et lorsqu'en plus l'auteur les voit en vente en ligne, comprenez qu'il en soit passablement affecté.