#LeManqueSong – Le Manque, c’est un duo qui officie depuis quelques années sur la toile : aux manettes, Christophe Esnault et Lionel Fondeville. Un groupe qui revendique une chanson française mise en images, mais avec la dérision et l’humour comme matière première. Depuis un premier album en 2007, Ratages et confettis, les compères ont donné le ton. Leur récidive, Rester ouvert à l’inattendu, deux ans plus tard confirmait la chose : ces deux-là sont des créateurs compulsifs. Et Kafka vient d’en faire l’effraie (chouette !).
Le Manque, littéralement, dans tous les sens, et absolument. Christophe Esnault, joint par ActuaLitté, en rit encore : leur dernière création, Les tweets de Kafka, découle d’une lecture. En passant sur l’excellent blog littéraire du non moins excellent Fabien Ribery, L’Intervalle, une allusion à l’écrivain austro-hongrois le saisit au vol. « J’ai envoyé le lien à Lionel, en lui disant qu’il y avait là une chanson à faire. »
Dix heures plus tard, des images captées au Cap Ferret, une musique sobre avec guitare acoustique, et voici le travail. « Nous sommes écrivains tous deux, avec une vie littéraire foisonnante, lecteurs pathologiques et créateurs compulsifs », reconnaît Christophe Esnault. Et rien n'y fait, pas un pour freiner l'autre.
Dans le binôme, Lionel Fondeville « est le génie du groupe, qui chante, monte, compose, filme et, techniquement, fait tout le travail », reconnaît son acolyte. « Moi, j’ai un rôle, une présence, et je suis coparolier : on travaille tous deux à l’écriture des textes, avec le plaisir de produire à toute vitesse. (et parfois plus lentement) » Et tous deux écrivent, publient, dans un lien étroit entretenu avec les communautés littéraires de la toile, des magazines ou encore de poètes. Ça va de soi.
S’ils s’efforcent de mettre en image, systématiquement, c’est convaincus que « le MP3 n’intéresse plus personne : quand on produit un film, le potentiel s’accroît. Et puis, on ne se le cachera pas : même si nous n’avons pas la portée de Philippe Katerine, on ne peut pas faire de la chanson française sans proposer des images ». De là, ce Kafka, dont quelques extraits du Journal aboutissent à une vidéo aux sonorités mélancoliques et profondes, qui échouent dans un rire lointain.
« Imaginer Kafka sur Twitter, alors que ce que l’on peut y lire aujourd’hui est tout de même désespérant, ça a quelque chose d’amusant », poursuit Christophe Esnault. , poursuit Christophe Esnault. « À mon avis, il n’irait pas sur ces outils… »
Je m'isolerai de tous jusqu'à en perdre conscience.
Je me ferai des ennemis de tout le monde.
Je ne parlerai à personne.
– tweet de Franz Kafka (apocryphe...)
Finalement, la vidéo présente un lecteur, à côté d’une boîte à livres, douloureusement vide — à l’exception d’un bouquin trouvé sur place : Que ferons-nous de tout cet amour ?, de Jean Huguet. « Ce qui devenait plaisant, c’est le décalage, parce qu’en réalité, seuls le titre et la couverture de ce livre nous intéressaient, dans les mots et le visuels. Pour le reste, le roman, on s’en fout totalement », plaisante Christophe Esnault. « Cet auteur régionaliste… bon, il vaut mieux lire notre dernier ouvrage, Mollo sur la win (Ed. Cactus Inébranlable, maison belge), qui parle de ce que nous subissons tous, l’injonction à réussir. »
Sauf que si la réussite passe par « posséder deux bagnoles, des gamins à haute capacité, alors, Lionel et moi, on préfère s’abstenir de réussir ». Le reste de la mise en scène est à l'aune de ce qui plaît au Manque... Cela, et ce délicieux plaisir de parcourir le Journal de Kafka, comme s'il s'agissait de messages postés sur le réseau de l'oiseau bleu, autant de gazouillis passablement écoeurés de l'humanité. Un écho, autant qu'un clin d'oeil.
Originaire de Chartres, les deux hommes avaient provoqué de fabuleux éclats de rire avec un premier titre, Mourir à Chartres, démontrant leur goût pour les textes joyeux et emportés et les images farfelues. « On cherche avant tout à s’éclater, dans un foisonnement continu d’idées et d’expérimentations. » D’ailleurs, le groupe s’est ouvert depuis tout ce temps à des collaborations multiples : des artistes, réalisateurs, des musiciens…
Et récemment, un certain Pierre Vinclair, écrivain, poète et philosophe publié notamment chez José Corti et Flammarion, avec qui ils ont élaboré une chanson à contre-pied, Ce qu’il reste à détruire. « Les faits s’entêtent à le montrer, l’humain œuvre à la destruction des écosystèmes, qui sont ainsi tous voués, à peu de chose près, à la destruction. Avec Pierre, nous avons pris le modèle à l’inverse : plutôt que d’inventorier ce qui a disparu, voyons plutôt ce qu’il reste à détruire. Là a été la contrainte de titre que nous lui avons suggérée. »
Le résultat, lui, ne manque de rien...
On peut retrouver leur chaîne YouTube à cette adresse, et se régaler, en attendant leur prochaine série...
Crédits photo : Lionel Fondeville
Paru le 02/09/2021
788 pages
Editions Gallimard
10,90 €
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