Secret de polichinelle, peut-être, mais bien conservé tout de même. Et surtout coup de maître, quand on pense aux ramifications, de la part d’Editis. Eric Zemmour, auteur esseulé, qu’Albin Michel avait dégagé de son catalogue de rentrée, n’avait d’autres options que l’autopublication pour maintenir la sortie de son livre. Il a donc ajouté une société d’édition aux cordes de sa propre entreprise, Rubempré. Et tant qu'à faire, autant se trouver une structure de diffusion, pour assurer la présence dans les points de vente, non ?
Le 09/08/2021 à 11:20 par Nicolas Gary
63 Réactions | 8473 Partages
Publié le :
09/08/2021 à 11:20
63
Commentaires
8473
Partages
Au cœur de toutes ces opérations, difficile de ne pas imaginer Vincent Bolloré, changé en Adam Smith : une poigne de fer dans un gant de velours, mais surtout, une main invisible pour le marché. Parcourons les pistes : Éric Zemmour travaille pour Cnews, comme chroniqueur et la chaîne appartient au groupe Vivendi. Manifestement, les liens entre le grand patron et le polémiste sont forts — Marianne évoquait une protection de Zemmour par Bolloré, en février dernier.
De l’autre côté de la chaîne Vivendi, on retrouve Editis, entré dans le giron bolloréal en janvier 2019. Avec un Zemmour sans éditeur, les regards ont immédiatement fusé sur les maisons susceptibles d’accueillir le prochain livre. Vus les liens capitalistiques existant, l’hypothèse était grossière — plusieurs médias ne se sont pas privé. Et ce, bien avant que l'on apprenne qu'il décidait de s'autopublier en modifiant les statuts de Rubempré.
L'idée qu'Editis reprenne Zemmour en publication était plausible. Mais l’enjeu n’était pas éditorial.
On ne le répétera jamais assez, on ne fabrique pas de l’argent, dans l’industrie du livre, avec l’édition, mais avec la commercialisation : la diffusion et la distribution. Autrement dit, la communication auprès des points de vente, plusieurs mois avant la date de sortie, et l’acheminement des livres depuis les entrepôts vers lesdits points de vente. Puis leur retour, s’ils sont invendus, et même le stockage dans les entrepôts.
D’ailleurs, Vivendi avait mis la puce à l’oreille de qui voulait bien la tendre avec attention : dans ses résultats financiers du premier semestre, le groupe indiquait explicitement que son plus gros succès, en matière de livre, s’était opéré avec La familia grande de Camille Kouchner. Un livre publié chez Le Seuil, mais que diffuse et distribue la société Interforum, filiale d’Editis – et non le groupe Média-Participations auquel Seuil appartient.
Et, guess what ? Ces deux pans de l’activité, l’actuelle directrice générale d’Editis, Michèle Benbunan, en est plus que familière : après une trentaine d’années passées chez Hachette Livre, ils sont nombreux à s’incliner : « Elle est logisticienne, c’est-à-dire qu’elle trouve des solutions simples et agiles à des questions complexes », indiquait un observateur en mars dernier.
[NdR : D’ailleurs, à 18 €, l’ouvrage de Camille Kouchner a aussi rapporté de l'argent à son éditeur, à considérer les 260.194 exemplaires vendus : plus de 4,62 millions € de chiffre d'affaires TTC (données Edistat).]
Des questions complexes ? La première, c’était la collusion globale entre les entités du groupe Vivendi, avec l’arrivée d'un Zemmour parachuté chez tel ou tel éditeur – ou donnant le sentiment de l’être. Certains, dans le groupe, le chuchotaient fin juin : « On a vraiment eu peur que cela arrive, qu’il soit imposé. » Car cette démarche aurait attesté de la mainmise de l'actionnaire sur le groupe éditorial, des liens entre le polémiste et Vincent Bolloré, d'une connivence manifeste : des nouvelles peu enthousiasmantes.
Mais rapidement, la directrice générale a infirmé : Zemmour ne venait pas chez Editis. Et voici que, désormais, la nuance, de bon grey, se savoure d’autant plus.
Le flou qui règne autour de la rupture de contrat entre Albin Michel et Zemmour brouille encore un peu plus les pistes : l’auteur, signé par une maison d’Editis, aurait-il pu demander un nouvel à-valoir ? « En cas d’à valoir versé en deux temps il aurait pu demander à son nouvel éditeur de verser la seconde partie. Lequel s’il avait accepté aurait pu se retourner vers Albin éventuellement pour lui demander cette somme au nom du contrat non honoré », pointe un connaisseur. Avec le risque d’un procès et de complications juridiques dont personne, chez Vivendi ou Editis, n’aurait voulu.
Or, éditer Zemmour importe moins que de distribuer Zemmour… « Il est d’ailleurs probable qu’aucune maison d’Editis n’ait accepté de le publier — ce qui laisserait entendre que Bolloré n’aurait pas fait pression. En revanche, le livre — qui fera certainement 200.000 exemplaires, minimum — deviendra nettement plus rentable en diffusion/distribution. »
Le tout en s’épargnant de possibles polémiques, une vindicte publique ou des protestations de salariés en interne — ainsi qu’Albin Michel les a vécues, avec pour conclusion le départ de l’auteur. Voilà donc la solution qui apaise et, au besoin, va dans le sens de l'actionnaire, tout en assurant de significatives rentrées d'argent, sans attirer les foudres ni des uns ni des autres.
Dans tout cela, le point d’achoppement pour le futur Eric Zemmour publié chez Rubempré — donc auteur et éditeur indépendant, le tout avec la belle allusion au personnage de Balzac — réside dans la diffusion. Celle-ci intervient logiquement bien en amont de la mise à l’office (ou commercialisation) : ici, quand bien même Interforum se démènerait, la phase de prospection sera réduite.
La sortie, malgré la défense et les cris d’orfraie du président du directeur d’Albin Michel, avait une date : le 15 septembre. Une programmation bien trop courte pour garantir une représentation décente auprès des librairies et autres. À ce titre, Edistat nous indique que pour le dernier livre, Destin français (112.637 exemplaires, septembre 2018), les ventes s’effectuent avec une certaine régularité : grandes surfaces alimentaires, 25 %, librairies (tous niveaux) à 35 % et grandes surfaces spécialisées (enseignes, type Fnac, Cultura, etc.), à 39 %.
En revanche, quatre ans plus tôt, Le Suicide français (309.734 exemplaires) marquait une tout autre inclinaison : 56 % en librairie, 28 % en GSA et 16 % de GSS. Autrement dit, si l’importance de la librairie a nettement diminué dans les ventes, en proportion, on peut aussi imaginer qu’elles aient déserté la place lors de la seconde publication. Mais dans les deux cas, l’auteur-éditeur devra accepter cette situation s’il entend maintenir sa date de parution.
Restera alors à l’actuel dirigeant d’Albin toute latitude pour clamer que tout était cousu de fil blanc – et pourquoi pas, d’abonder dans le sens de ses propres propos : « Éric Zemmour a décidé de changer de statut, il veut devenir un homme politique, engagé dans un combat idéologique personnel, qui ne correspond tout simplement pas à la ligne éditoriale d’une grande maison généraliste comme Albin Michel. Ce choix est fait sans animosité aucune envers Éric Zemmour, et nous souhaitons bien sûr qu’il puisse être publié, mais il doit l’être par une maison prête à le soutenir dans cette démarche politique assumée. »
Rappelons à ce titre qu’Editis diffuse, distribue, mais avant tout publie Jean-Luc Mélenchon, et qu’il semblerait saugrenu d’imaginer le leader de la France insoumise sur la même ligne politique que Vincent Bolloré…
Et la directrice générale, avec le sourire qu’on lui connaît, tient sa parole : Zemmour n’arrivera pas dans une maison d’édition du groupe, mais sera confié aux équipes commerciales d’Interforum, ce qui n’a presque rien à voir. Brillant. Mais plus efficace encore, cette partie d’échecs montre que le système Joël Dicker fonctionne.
EDITION: nouveau départ pour Joël Dicker
En mars dernier, le romancier annonçait quitter son précédent éditeur, De Fallois, pour créer sa propre structure éditoriale. Et Interforum remplacerait Hachette Distribution justement pour ce volet logistique. À cette heure, on ne sait toujours pas ni ce que publiera cette maison — prévue pour janvier 2022 — ni la ligne éditoriale que Joël Dicker entend fixer… En revanche, ses précédents ouvrages quitteront également De Fallois à la fin de l’année.
La perspective de structures en marque blanche, autour de grands vendeurs, susceptibles de bénéficier d’un accompagnement éditorial ou simplement d’une commercialisation… Voilà bien une réponse simple à des perspectives complexes. Pour Zemmour, plus besoin d’éditeur, puisqu’Interforum assurera les services de mise en vente, acheminement et retours. Restent la fabrication, l’impression et quelques autres points à régler alors.
Quant aux conséquences de l'éviction subie par Zemmour de chez son précédent éditeur, tout porte à croire que l'on n'a pas fini de les mesurer...
NdR : le terme “autopublier” est ici privilégié à celui, passablement galvaudé d'autoéditer. En créant une structure d'édition, Zemmour assure bien la publication de son titre – au sens du Code de la propriété intellectuelle de mise à disposition du pubilc. Donc, la commercialisation. L'autopublication implique une édition, ou autoédition, dans un processus préalable de correction du manuscrit. Mais l'autoédition n'implique en rien une commercialisation.
DOSSIER - Désavoué par l'éditeur Albin Michel : le cas Éric Zemmour
63 Commentaires
Ssica
11/08/2021 à 09:50
Article très intéressant pour comprendre les rouages du monde du livre. Je ne cautionne pas du tout Éric Zemmour et n'irai pas acheter son livre mais l'article utilise bien cet exemple pour démontrer ce qui se fait aujourd'hui et les enjeux de la commercialisation. Bonne lecture.
EmileZOLA
11/08/2021 à 17:53
....ok, on a compris que vous n'appréciez pas EZ, c'est votre droit, mais avant de juger l'homme et ses constats qui ne sont pas "idéologiques", (à l'inverse de ceux qu'il combat "intellectuellement"), ne serait-il pas judicieux (justement) de lire ce qu'il écrit et d'écouter ses interventions et ainsi d'avoir sa propre opinion et non celle distillée par ses détracteurs, car je vous rassure, dans ses émissions, finalement il parle très peu d'immigration (Dieu merci) uniquement quand on lui pose des questions à ce sujet ....le reste est d'une grande intelligence, une connaissance inégalable, qui met à plat n'importe quel intervenant, on peut le qualifier de génie intellectuel, chaque détail de chaque évènement politique, france ou du monde est gravé dans sa mémoire phénoménale .... ce qui fait la grande différence avec une M Le Pen, en partie inculte qui tourne toujours autour du même thème par récupération politique ... lui, est un vrai amoureux de la France et de vouloir la préserver est plus une qualité qu'un défaut, enfin, me semble t-il !! cet avis semble ne pas convaincre les anti-Zemmour...
En ce qui me concerne, j'écoute et lis tous les hommes politiques, même ceux que je n'aime pas (ex. Mélanchon, Macron, Castaner, Darmanin) pour me forger ma propre opinion ...
ce qui m'amène à affirmer que ce gouvernement mondialiste n'aura certes pas ma voix en 2022
Acajou
11/08/2021 à 10:26
C'est formidable de pouvoir publier d'une façon ou d'une autre; mais l'heure est si grave pour notre pays que l'écriture ne suffit plus; il faut d'urgence que Mr Zemmour profite de sa notoriété pour former une liste avec des personnalités en vue de tous partis (Sauf LREM); afin de remettre notre pays sur rails!
robert dorazi
11/08/2021 à 20:20
Quand un éditeur vend 260.194 exemplaires à 18 €, il ne fait pas "plus de 4,62 millions € de chiffre d'affaires".
Team ActuaLitté
11/08/2021 à 22:41
Bonsoir
Précisément, si : il fait 4.683.492 € de chiffre d'affaires, TTC s'entend.
robert dorazi
12/08/2021 à 01:17
Comment calculez-vous le chiffre d'affaire de l'éditeur dans la chaine de vente d'un livre ?
robert dorazi
13/09/2021 à 16:50
Puisque la question est restée sans réponse, vous savez certainement que la seule personne à vendre un livre 18 euros, quand il est écrit 18 euros sur la couverture, c'est le libraire. Le libraire l'a lui même acheté au distributeur au prix de 11-12 euros (un bénéfice brut de 30-35% en moyenne). Le distributeur l'a en général lui-même acheté à l'éditeur au prix d'environ 8-9 euros. Ainsi, un éditeur classique qui vend 10000 romans à 18 euros, fait un chiffre d'affaire (CA), non pas de 180000 euros, mais de 80000-90000 euros, CA sur lequel il devra payer l'imprimeur et l'auteur.
Tlaciar
12/08/2021 à 13:09
Allez, une petite dernière à propos du « livre » de Monsieur Z...
Beaucoup ici dénoncent le scandale que constitue le refus des Editions Albin Michel de publier ce fameux « ouvrage » et donc l’atroce obligation pour Monsieur Z de le publier par le biais de sa propre société qu’il vient de transformer en maison d’édition.
C’est au contraire tout l’inverse...
Monsieur Z va en effet y gagner beaucoup plus d’argent que si son livre avait été publié par un autre éditeur que lui-même...
Petit exercice de comparaison financier :
Le prix de vente de ce « livre » sera aux alentours de 25 euros TTC.
- Le libraire y gagnera environ 40 % (soit 10 euros), même s’il n’en sera pas très fier...
- Le distributeur/diffuseur (en l’occurrence Interforum qui appartient tout comme CNews à M. Bolloré dont M. Z est le salarié) y gagnera environ 20% (soit 5 euros).
- La fabrication du livre reviendra à environ 5% soit 1,25 euros (grand maximum...). Gageons que l’imprimeur et le papetier vont se voir « suggérer » d’appliquer les mêmes tarifs de fabrication que ceux d’Editis (filiale du groupe Vivendi appartenant à M. Bolloré). En effet, les 3 imprimeurs français capables de fabriquer ce livre à gros tirage en sont tous fournisseurs. Et, comme Editis publie beaucoup plus qu’Albin Michel, les tarifs de fabrication sont par ailleurs plus bas...
- L’éditeur, qui est maintenant une société appartenant directement à Monsieur Z, devrait y gagner environ 20% (soit 4 euros) avec très peu de dépenses de promotion et de publicité. En effet, Monsieur Z sera invité partout et pourra également parler de son livre 4 fois par semaine sur Cnews. Le tout sera relayé par Europe 1, Prisma Média et le groupe Havas (qui au besoin fournira un petit peu d’aide en matière de communication...), entreprises qui toutes appartiennent au groupe Vivendi de M. Bolloré.
Le total pour les « Editions » Rubempré de "Lucien" Z, sera donc d’environ 1 million d’euros...
- Les droits d’auteur seront d’environ 10%, soit 2,5 euros par livre. Avec des ventes espérées à 200 000 exemplaires grâce à toute la publicité faite autour de la publication de ce livre, cela fera environ 500 000 euros.
En se publiant dans sa propre maison d’édition plutôt qu’en l’étant par Albin Michel, les gains de Monsieur Z devraient donc être multipliés par 3 et représenter 1,5 millions d'euros !
Et je suis certain que les conseillers financiers de M. Z lui conseilleront de diminuer ses droits d’auteur pour augmenter les bénéfices de sa propre maison d’édition... Les dividendes versés par une entreprise sont en effet moins imposés que les droits d’auteur...
- Et enfin, l’Etat, dont M. Z ne cesse de critiquer l’atroce fiscalité, ne prélèvera qu’un taux de TVA réduit de 5,5%...
Il n’y a donc aucun doute sur la question, Monsieur Z va gagner beaucoup plus d’argent ainsi que beaucoup plus de publicité qu’il ne l’espérait dans cette triste affaire...
PS : et j’ai lu ici qu’un intervenant considérait Monsieur Z comme le « Voltaire de la politique »... Outre que Monsieur Z est un (mauvais) philosophe de (petit) comptoir, le côté « je me battrais pour que vous puissiez le dire » ne me paraît pas le concerner... Monsieur Z est, et sera plus encore, en mesure de s’exprimer partout sans difficultés. Voltaire n’aurait donc pas besoin de se battre pour lui... (et il ne le ferait surement pas avec !)
Bien à vous...
Dig
22/10/2023 à 18:06
Vous eussiez pu faire économie de clavier "cher Tlaciar" en vous administrant un dépuratif.
Par ailleurs Zemmour n'a pas transformé sa sté; il en a "élargi - précisé l'objet" (c'est comme ça qu'on dit chez les juristes et au TC quai de Corse) D'autant que son épouse Maitre Chicheportiche est une fine juriste en l'espèce.
Je m'interroge sur votre bile à l'encontre de Zemmour; auriez vous eu la même vindicte à l'encontre de Mitran, de Jack Lang, de DSK, de Cahuzac, de Dray, de Spitakis, de Cambadelis ou de tout autre parangon de turpitudes ?
PAS bien à vous
enomis
13/09/2021 à 14:38
Je suis et reste contre vents et marées une inconditionnelle de Eriz Zemmour d
enomis
13/09/2021 à 14:43
Suite : connaissez vous les prochains déplacements d' Eric ZEMMOU Merci pour votre réponse
De Ribera
06/10/2021 à 16:13
Article très peu compréhensible pour un profane de l'édition.
Dommage.
Guillon
22/08/2023 à 17:21
Je voudrais envoyer un manuscrit aux editions Rubempré et je tembe sur d'a
Guillon
22/08/2023 à 17:23
Je voudrais envoyer un manuscrit aux Éditions Rubempré et je tombe sur d'autres éditeurs.
Merci de me renseigner
TEL 06 83 13 11 77