ProcesIA - Lorsque j'ai entendu parler des poursuites judiciaires pour non-respect du droit d’auteur intentées le 1er juin 2020 aux États-Unis par quatre grands éditeurs (Hachette, Penguin Random House, Wiley, HarperCollins) à l’Internet Archive pour son Open Library, et ce en pleine pandémie, je n’arrivais pas à y croire. Et ce mauvais rêve se transforme en cauchemar puisqu'un procès retentissant doit débuter le 12 novembre 2021.
Le 22/07/2021 à 10:42 par Marie Lebert
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Publié le :
22/07/2021 à 10:42
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J’ai brièvement pensé que nous étions de retour dans les années 1990, lorsque les éditeurs avaient du mal à s’adapter à ce nouveau médium dénommé l’Internet, et lorsqu’ils craignaient déjà le piratage numérique et le non-respect du droit d’auteur en menaçant les pionniers du livre numérique de poursuites judiciaires. Mais nous sommes bien en 2021.
L’Internet Archive, fondée en 1996 par Brewser Kahle, crée en 2006 l’Open Library. Il s'agit d'une bibliothèque numérique de prêt gratuite pour tous dans le monder entier, avec des livres du domaine public (2,5 millions) et des livres soumis au droit d’auteur (1,4 million), comme toute bibliothèque. Les auteurs peuvent à tout moment demander le retrait de leurs livres. L’Open Library est l’une des nombreuses activités de l’Internet Archive, et c’est celle-ci qui est mise en cause, et pas les autres.
PORTRAIT: Brewster Kahle, archiviste ultra
Ces livres numériques sont tous des numérisations de livres imprimés appartenant à l’Internet Archive suite à des achats ou des dons. Les livres sont numérisés en mode image et disponibles au format PDF. Nombre de livres imprimés soumis au droit d’auteur ne sont plus disponibles à l’achat et n’ont pas de version numérique commerciale. Ce sont surtout des manuels et des livres d’étude. Il n’y a pas de livres publiés il y a moins de cinq ans. 90 % des livres ont été publiés il y a plus de dix ans. Deux tiers des livres sont des livres du 20e siècle.
On peut emprunter jusqu’à dix livres numériques pour une durée de deux semaines. Les versions numériques ne sont utilisables que par une personne à la fois, comme le veut la législation. Les gens passent en moyenne 30 minutes sur un livre. Il s’agit donc plus de consultation que de lecture.
L’Internet Archive a un cœur, et sait s’en servir.
Pendant la pandémie, toutes les bibliothèques physiques sont fermées et toutes les bibliothèques numériques croulent sous les demandes avec des listes d’attente très longues du fait de cette fameuse règle de prêt d’un livre numérique à une personne à la fois. Les écoles, les universités et les centres de formation sont tous fermés eux aussi. Le monde entier est à l’arrêt, mais les gens ont besoin de continuer à étudier et à lire.
L’Internet Archive lance donc la National Emergency Library (bibliothèque nationale d’urgence) le 24 mars 2020 pour trois mois (jusqu’au 30 juin 2020) et change les règles de l’Open Library pour permettre à plusieurs personnes à la fois (au lieu d’une personne seulement) d’accéder au même livre numérique, tout en conservant un nombre maximum de dix livres par personne avec prêt de chaque livre pour deux semaines.
Nous avons pu continuer à lire et à étudier malgré les confinements, la maladie et les moments difficiles pour joindre les deux bouts. Un bibliothécaire du New Jersey trouve même des manuels d’aide d’urgence pour le personnel médical qui lutte en première ligne contre le Covid. Ces manuels sont impossibles à trouver ailleurs. Un exemple parmi tant d’autres. Le blog de l’Internet Archive croule sous les remerciements d’étudiants, d’enseignants, de formateurs, de parents, de bibliothécaires et d’auteurs.
JUSTICE: Quand les éditeurs décidèrent d'intenter un procès à internet
L’Internet Archive a sauvé notre soif quotidienne de connaissances et même notre santé mentale pendant ces temps difficiles, car nous n’avons pas l’argent voulu pour acheter des piles de livres sur Amazon (comme le souhaiteraient les éditeurs) alors que nous sommes nombreux à avoir perdu notre travail et d’autres sources de revenus.
Comme de nombreux livres sont sous droits (1.4 million), quatre grands éditeurs lancent des poursuites judiciaires pour non-respect du droit d’auteur le 1er juin 2020, si bien que la National Emergency Library ferme ses portes le 16 juin au lieu du 30 juin 2020, date prévue à l’origine.
Contrairement aux livres numériques commerciaux présents dans les bibliothèques municipales par exemple, les numérisations de livres de l’Internet Archive ne rapportent pas de revenus aux éditeurs puisqu’ils sont scannés en mode image (PDF) à partir de ses propres collections imprimées et ne sont donc pas des livres numériques produits par les éditeurs de ces livres. Et le prêt temporaire de ces PDF à plusieurs lecteurs à la fois semble également poser problème.
Si la National Emergency Library ferme, l’Open Library reste toujours ouverte bien entendu, avec le prêt d’un livre numérique à une personne à la fois pendant deux semaines, et dix livres maximum par lecteur, comme par le passé. Et les poursuites judiciaires se poursuivent, le but étant la suppression de tous les livres sous droits de l’Open Library, dont la plupart ne peuvent plus être trouvés en librairie et dont la plupart n’ont pas de version numérique commerciale, rappelons-le.
Les quatre grands éditeurs (et leurs avocats) nous assurent qu’ils défendent les auteurs. Mais depuis toujours un petit pourcentage du prix du livre va dans la poche de l’auteur. La plupart des auteurs et traducteurs sont pauvres et ils ont besoin d’un travail alimentaire pour payer les factures.
Pourquoi ces quatre grands éditeurs mondiaux sont-ils aussi riches alors que leurs auteurs et traducteurs sont aussi pauvres, à quelques exceptions près ? Pourquoi ne pas augmenter le pourcentage revenant aux auteurs et traducteurs pendant la pandémie et après ? Pourquoi ne pas aider les auteurs et traducteurs au lieu de payer des avocats hors de prix ?
L’Internet Archive a tenté sans succès de convaincre ces éditeurs de travailler avec l’Open Library et non contre elle, pour le bien des lecteurs, des bibliothèques et des librairies. Mais ces éditeurs ne sont pas intéressés. Je n’ose même pas penser aux sommes englouties depuis le 1er juin 2020 dans les poursuites judiciaires alors que tant d’auteurs, de traducteurs et d’étudiants souffrent.
L’Internet Archive a toujours conseillé à ses lecteurs d’acheter des livres si possible pendant la pandémie pour soutenir les éditeurs et les auteurs, et de les emprunter sinon, ce que ces éditeurs se gardent bien de rappeler. Mais beaucoup de gens ne peuvent pas se permettre d’acheter des livres, et ils comptent sur les bibliothèques pour les lire.
Fermer une bibliothèque numérique mondiale gratuite n’incitera pas les lecteurs à acheter des livres, contrairement à ce que pensent plusieurs auteurs de best-sellers soutenant ces éditeurs. Ces auteurs perdront davantage de lecteurs, ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter leurs livres et ceux qui vivent dans un autre pays.
Ces auteurs expliquent qu’ils ont eu une vie difficile pendant la pandémie. Ils expliquent aussi qu’ils ont besoin de vendre des livres. Tout le monde comprend. Mais tout le monde a eu une vie difficile pendant la pandémie - excepté Amazon ? Beaucoup de gens ont des dépenses beaucoup plus urgentes que l’achat de livres.
Plutôt qu’un partenariat, la seule solution que ces éditeurs ont trouvée est un procès retentissant (qui débuterait le 12 novembre 2021) et de très lourdes amendes potentielles… pour faire supprimer tous les livres sous droits de l’Open Library.
Ces éditeurs avaient l’Open Library dans le collimateur depuis longtemps déjà. Ils ont utilisé la National Emergency Library ouverte pendant trois mois pendant la pandémie pour frapper vite et fort.
L’Internet Archive travaille pour le bien public, pour le grand public, pour les lecteurs, pour les étudiants, pour les enseignants, pour les personnes âgées, pour les personnes handicapées, pour les auteurs, pour les traducteurs, pour les bibliothécaires, pour les chercheurs, pour tout le monde.
L’Internet Archive est ancré dans le monde numérique depuis 25 ans maintenant, et connaît son pouvoir de pionnier pour promouvoir la lecture et l’éducation pour tous en utilisant l’internet pour cela. Quand verrons-nous une législation plus adaptée qui n’autoriserait pas de tels procès ?
Dossier - Procès Internet Archive : l'édition contre le prêt numérique contrôlé
Illustration © Denis Renard
DOSSIER - Procès Internet Archive : l'édition contre le prêt numérique contrôlé
Par Marie Lebert
Contact : marie.lebert@gmail.com
8 Commentaires
SamSam
22/07/2021 à 15:02
Excellent article, à l'ironie pondérée qui perce au coeur de la plaie.
On comprend mieux, s'il était possible, pourquoi les auteurs gagnent si peu, pourquoi les bibs publiques ont des moyens toujours déclinants, pourquoi certains éditeurs refusent les manuscrits par la Poste/Net - travailler à la commande c'est le plus sûr de publier du déjà célèbre, toujours plus calibré, ciblé - pourquoi la littérature industrielle est un oxymore particulièrement toxique, pourquoi l'avenir du livre comme l'avenir de la biodiversité n'est pas compatible avec le libre-échange (marchand naturellement).
Julie
23/07/2021 à 07:56
Toujours plus pour les éditeurs… Il existe une pétition pour leur rappeler qu’ils n’existeraient pas sans les auteurs?
Eric Dubois
23/07/2021 à 14:23
Entièrement d'accord !
SamSam
24/07/2021 à 09:18
Oui, Julie...J'ai vu quelque chose dans cet esprit; c'était au moment de la "jacquerie" des correcteurs, il me semble.
Faudrait surtout un syndicat des auteurs qui ne soit pas un go-between du ministère de la Culture et une structure de distribution qui baisserait le prix de l'acheminement, qui permettrait à tous les éditeurs d'être distribués. Et des aides claires pour la petite édition qui fait ss doute la littérature réelle, contrairement aux conneries tarifées de Laure Adler et autres missi dominici de l'Argent...
volaudessusdunnid
24/08/2021 à 16:37
En tant qu'auteur et éditeur, je pense que cette bibliothèque n'avait pas le droit d'utiliser des ouvrages sans l'autorisation contractuelle des éditeurs ni rémunérer les éditeurs, qui eux-mêmes rémunèrent ainsi que la Scam, les auteurs. Votre article est du blabla immature et bien pensant typiquement français mais pas très pensé, car ce genre de dossiers est plus compliqué. De plus ce n'est pas parce qu'un livre n'est plus dans le commerce que les droits d'auteur sont libres. Soit ils appartiennent toujours à l'éditeur, soit à l'auteur, soit à ses ayants droit. Justement, si les auteurs ont du mal à vivre de leur travail, il n'est pas rationnel de prêcher pour que sous un prétexte ou un autre, certains s'arrogent le droit d'utiliser ce travail sans permission.
SamSam
25/08/2021 à 09:54
Sous-texte de valaudessusdunnid :
y z'on pas le droit de me priver de quelques centimes d'euros sur des livres passés de mode. Oui, je veux pouvoir payer les auteurs d'une obole et me remplir soigneusement les poches, en maquettant et en balançant sur les étals de la littérature industrielle.
Qué j'en ai à foutre moi des lecteurs démunis, de l'intérêt général, du patrimoine mondial de la culture, de l'esprit, de redonner une vie universelle à des oeuvres que le Marché envoie au pilon tous les trois mois..?
C'est normal que je paye des clopinettes les auteurs; ce sont mes auteurs et je vois pas pourquoi n'importe qui pourrait lire leurs produits sans me payer.
volaudessusdunnid
29/08/2021 à 17:38
Beaucoup d'ignorants pensent que les livres devraient être gratuits. Donc pour faire court, un livre c'est en général un à deux ans de travail pour l'auteur! Je suppose que vous considérez que ce travail doit être gratuit. Par contre vous allez surement monter au créneau pour que la dame pipi de la gare ne travaille pas gratuitement et surtout ne prive pas la société de sa haute réflexion philosophique. Ensuite je viens de publier un livre: coût minimum 7500 euros que les ventes ne m'ont pas, de loin, même rembourser, sortis de ma poche ( pas de la vôtre, ni de celle de l'état) C'est normal? L 'édition est-elle une activité de loisir à perte pour milliardaires névrosés qui s'ennuient ou le fait de courageux passionnés pas forcément pourris parce qu'ils essaient de gagner de l'argent pour vivre comme tout le monde. Savez vous quel est le pourcentage prélevé par ex par Amazon et les distributeurs pour la vente d'un livre? Environ 48%. Donc qui ne rentre ni dans la poche de l'éditeur ni dans celle de l'auteur. Lorsque vous aurez déduit ce montant ajouté aux frais d'impressions et de maquette, vous aurez la surprise de voir les quelques euros qui restent à l'éditeur et à l'auteur. Si vous ne comprenez pas, essayer d'écrire( ce qui demande pas mal de courage) et de publier et de vous faire publier ( ce qui demandent encore plus de courage et de compétences ajoutées) et vous saurez de quoi vous parlez.
Mathias Poujolrost
20/03/2023 à 17:02
Cela rappelle de mauvaises poursuites-baîllons.