Son sourire enjôleur et lutin fascine : rencontrer Luca Di Fulvio, c’est plonger dans le charme d’une autre langue, et dans une littérature d’un autre monde. Les lecteurs qui l’ont découvert avec Le Gang des rêves auront le bonheur de le retrouver dans un roman plus italien cette fois. Conversation avec un dilettante particulièrement attaché à son art…
ActuaLitté : Votre dernier roman, Mamma Roma (trad. Elsa Damien), qui paraît le 9 septembre, se déroule, comme son titre l’indique, à Rome. Jusqu’ici, vous nous aviez habitués à l’exil de vos héros : entre autres à New York (Le Gang des rêves) ou à Buenos Aires (Les Prisonniers de la liberté), toujours très loin de l’endroit où vous vivez et écrivez. Pourquoi ce choix de la Ville éternelle ? Est-ce un retour aux sources ou la fin de l’émigration ?
Luca Di Fulvio : Mais, tu sais Nicolas, en fin de compte, mes personnages sont toujours des migrants parce qu’ils fuient un endroit inhospitalier à la recherche d’un Monde Nouveau qui puisse les accueillir. Ce sont toujours des « étrangers ». Comme moi.
Rome est la ville où je suis né et où j’ai grandi, mais les vrais Romains, après avoir discuté avec moi pendant un certain temps, finissent toujours par me demander : « D’où venez-vous ? » Ils ne me reconnaissent pas comme l’un des leurs. Je suis le fils de deux familles du nord : ma mère est de Novare (comme la comtesse et Pietro, deux des personnages principaux du livre, NdR) et mon père de Venise. Mais ils ont voyagé dans toute l’Italie. Mon père est né dans un petit village, Contarina, où j’envoie Marta, l’autre protagoniste, qui, vivant dans un cirque, est aussi une vagabonde.
Mes personnages font un voyage vers Rome, tout comme mes deux familles, à la recherche d’un endroit qu’ils pourraient appeler “la maison”. Et ils arrivent à Rome, qui ne fait alors pas partie de l’Italie, mais des États pontificaux où le roi est le pape. Sans le savoir, j’ai fait ce voyage avec eux et ce n’est que maintenant, après ce livre, que je me sens enfin romain. Ce n’est donc peut-être pas moi qui ai choisi Rome, mais la Ville éternelle qui m’a choisi (et accueilli) avec cette histoire.
L’action de Mamma Roma se déroule sous l’Unité italienne, une période assez mal connue des Français. En quoi ce moment où les « Italiens devinrent tous frères » et où la République s’affranchit de l’Eglise et de la Royauté relève-t-il pour vous de l’universel ? Et l’avez-vous choisi pour raconter en creux ce que n’était plus notre époque ultra-individualiste ?
Luca Di Fulvio : En introduction, je voudrais dire que mes livres sont souvent décrits, à tort, comme des romans historiques. En réalité, mes livres sont des romans d’apprentissage, d’aventure, d’amour, de lutte pour ses rêves, de quête de la liberté, d’égalité, de fraternité (ces trois derniers mots vous sont familiers, non ?). Pourquoi je dis que ce ne sont pas des romans historiques ? Parce qu’un roman historique est basé sur l’Histoire et que des personnages qui l’incarnent y vivent. C’est l’Histoire qui commande.
Moi, en revanche, je trouve d’abord mes personnages, vivants et indépendants, qui veulent suivre leur propre chemin, et ce n’est qu’ensuite que je choisis la période historique qui représente le mieux leurs ambitions, leurs projets et leurs rêves. En bref, l’Histoire est le plateau de tournage où je fais se dérouler la vie et non l’inverse. L’Histoire est un arrière-plan. Elle compte moins que le parcours de mes personnages. Ils sont aux commandes. Dans ce livre, ils sont à la recherche d’une famille, dans son sens le plus large.
Et la naissance d’une nation (après des siècles et des siècles de domination étrangère) est comme la formation d’une famille. Pour moi, le passé ne peut être une fin en soi (sinon il est mort). Je pense toujours qu’il doit représenter notre présent. Ainsi, l’unification de l’Italie représente le rêve d’une Europe unie, dans laquelle nous conservons tous notre culture, notre langue, notre identité, mais où nous commençons à nous sentir un peu frères (et pas seulement partenaires dans les affaires économiques).
Les trois personnages principaux de Mamma Roma (une comtesse républicaine, un orphelin au caractère affirmé et une jeune artiste de cirque qui refuse de grandir à l’ombre des hommes) partagent une forme de fatalité, comme souvent les héros de vos romans : ils sont ballottés par le destin, les souffrances et les vicissitudes de la vie mais, au final, en sortent toujours grandis. Un ressort romanesque ou une philosophie de vie ?
Luca Di Fulvio : Mes trois protagonistes sont tous faits de feu, de passion, d’amour, d’une solitude qu’ils tentent de combattre et d’idéaux de liberté, de justice. Chacun, à sa manière, se bat pour son destin. Et ils se rencontrent dans cette lutte, ils se reconnaissent, ils se reflètent les uns dans les autres. Et le fait de se rencontrer les rend moins seuls. Cela les fait se sentir moins différents. Et moins “étranger”.
La comtesse doit faire face à son passé qu’elle a fui il y a de nombreuses années, en se construisant une fausse existence. Et de retour à Rome (où elle est née), elle doit reprendre sa vraie vie là où elle l’avait abandonnée. Pietro est un orphelin qui trouve en la comtesse (avec beaucoup de difficulté) la famille qu’il n’a jamais eue. Et à partir de ce moment, c’est comme s’il avait trouvé des bases solides sur lesquelles construire son avenir en lui permettant de devenir celui qu’il n’avait même pas le droit d’imaginer être auparavant.
C’est ainsi qu’il découvre que la “narration” de la réalité peut se faire par le biais d’un appareil photo. Et l’objectif de son appareil se focalise sur ceux qui lui ressemblent, sur les derniers, sur Les Misérables comme les appelait le grand Victor Hugo. Marta, quant à elle, est une âme en peine, elle est perdue, sans identité. Elle vit dans un cirque, c’est une enfant du monde et pourtant elle est sans foyer. C’est cette agitation qui l’amène à se passionner pour la cause italienne. C’est le mot “frères” qui illumine son cœur, qui lui donne une raison de vivre.
Ces trois personnages ont des parcours différents, apparemment indépendants les uns des autres, et pourtant ils finissent par converger dans une rencontre magique qui changera leurs vies. Qui les guidera sur le chemin qu’ils veulent parcourir, main dans la main. Et cette marche commune leur apprendra la chose la plus extraordinaire qu’un être humain puisse apprendre : nous ne vivons pas seulement pour nous-mêmes mais aussi pour ceux que nous aimons.
Vous êtes une star en Allemagne et en France mais votre notoriété a mis un peu plus de temps à s’installer dans votre pays natal. Or, vous êtes finaliste du prix Bancarella l’un des prix littéraires les plus prestigieux d’Italie. Est-ce une forme de consécration pour vous ?
Luca Di Fulvio : Absolument. Tu vois, quand on y réfléchit, j’écris en italien. Donc mon vrai livre est celui en italien. Et être reconnu dans mon propre pays est important pour cette raison, pas pour la célébrité. Tu sais, quand on me demande pourquoi je suis si célèbre en France et en Allemagne mais pas autant en Italie, je réponds en plaisantant : “Parce que j’ai d’excellents traducteurs français et allemands. Alors que mon italien est manifestement merdique.”
Le prix Bancarella a une valeur énorme pour moi parce que c’est un prix décerné par des libraires indépendants. Il ne s’agit pas d’un jury d’intellectuels ou de critiques littéraires, mais de la catégorie de gens que j’aime et que j’estime le plus : les libraires, les vrais, ceux qui lisent, ceux qui recommandent des livres à leurs clients.
Je dois avouer que les prix littéraires qui m’intéressent vraiment dans l’absolu sont ceux décernés par des libraires et les prix de lecteurs. Tous les autres sont des événements qui, trop souvent, n’ont aucun rapport avec la vie réelle, avec le monde réel, avec les gens réels. Et ainsi, ils finissent par être une foire aux vanités pour les auteurs. Pas très intéressant. Pas très réel.
crédit photo : © Giorgio Cosulich ; Jota @ BRAZIL CC BY SA 2.0
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