Amélie Nothomb rencontrera pour la première fois depuis très longtemps son public ce samedi 12 juin, dans le cadre du Festival Les mots libres à Courbevoie. On sait combien elle entretient un rapport très particulier, dans tous les sens du terme, avec ses lecteurs, et son impatience à l’idée de les revoir n’était pas feinte. En attendant la rentrée littéraire et son prochain titre, Premier Sang, discussion autour de son dernier roman paru, Les aérostats, des monstres et de l’écriture, et de ses lecteurs.
Le 04/06/2021 à 11:47 par Christine Barros
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04/06/2021 à 11:47
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ActuaLitté : Les aérostats a été publié chez Albin Michel à la dernière rentrée littéraire de septembre 2020, vous en avez finalisé le texte il y a de très longs mois ; actuellement vous remettez le manuscrit de votre prochain titre Premier sang pour cette rentrée 2021, alors que très certainement vous venez d'achever le prochain, voire en avez trois ou quatre d'avance. Comment gère-t-on cette temporalité bousculée ?
Amélie Nothomb : Il n'y a absolument qu'une manière d'y arriver : écrire absolument tous les jours sans aucune exception. Je me suis fixé une règle très dure mais très importante : à l'instant où j'écris le mot fin au bas d'un manuscrit, à la seconde même, je commence le suivant.
À la seconde. Je m'interdis de vivre cette minute, ou cette heure, ou ce jour triomphaliste. On perd sinon son humilité et on oublie que tout cela est du travail. Nous ne sommes pas là pour penser qu'on a du talent, on est là pour travailler. Et cette règle très dure porte ses fruits.
À propos de ce « métier » d'écrivain : vous avez fait de l'écriture un métier, avec ses propres contraintes, ses règles que vous vous imposez, ce devoir dans lequel vous vous mettez… Est-ce que le métier d'écrivain a quelque chose de « joli » en réalité ?
Amélie Nothomb : Pas du tout, c'est un métier de forçat, c'est un métier sublime, c'est un métier plus beau que tous les autres, mais joli, il ne l'est certainement pas. Pour être écrivain, il faut énormément travailler, vivre dans une angoisse constante, surtout ne jamais s'imaginer que l'on a fait quelque chose de bon, parce que le plus grand danger qui guette l'écrivain est la prétention. Pour ne pas y tomber, il faut constamment et très durement veiller à son humilité. Être écrivain est tout sauf « joli ».
Et pourtant sublime ?
Amélie Nothomb : Oui magnifique, sublime, pour rien au monde je ne ferais un autre métier ! Mais il y a dans « joli » l’idée de quelque chose d'agréable, de confortable qui ne correspond en rien au métier d'écrire.
Quand vous parlez d'angoisse constante, ou toujours renouvelée, écrire ne serait donc pas finalement, une catharsis ?
Amélie Nothomb : C'est une catharsis à double tranchant. Quand on écrit au degré d'exigence qui est le mien, on obtient des effets cathartiques, mais à double tranchant : lorsqu’on expulse quelque chose de très fort, on expulse un poison. Mais au moment même où on l'expulse, on se fragilise. Cette catharsis laisse dans la sensibilité une part de la bombe atomique qu'on s'est infligée pour la mettre au monde.
Écrire serait donc proposer des bombes aux lecteurs ?
Amélie Nothomb : Quand on écrit, on ne sait pas si l'on va être publié ou non. Je publie infiniment moins que je n'écris - je suis en train d’écrire mon 102e manuscrit, alors que somme toute je ne m'apprête à publier que le trentième.
Au moment de l'écriture, c'est terrible à dire, mais l'on ne pense pas aux lecteurs. Ce n'est pas du tout que l'on soit égoïste, mais il est impossible de penser au lecteur au moment où l'on écrit. On est dans une recherche de vérités et de sensations si fortes qu'il est impossible de voir un horizon plus lointain que l'acte d'écrire lui-même. Acte d'une violence et d'une complexité qui exige une honnêteté totale. À la moindre malhonnêteté, on sait qu'on va le payer tout de suite : non seulement l'on est en grand danger d'écrire quelque chose de mauvais, mais même la suite de ce que l'on va écrire sera mauvaise. À aucun instant il ne faut relâcher son contrôle.
Donc non, au moment d'écrire, on n'adresse rien à qui que ce soit, on crée, on est dans une recherche de sensations déjà si forte, croyez-moi, c'est déjà énorme !
C'est la raison pour laquelle vous parlez fréquemment d'accouchement : cette violence, cette puissance, cette expulsion, cette douleur ?
Amélie Nothomb : C'est tout cela, mais c'est aussi le peu de choix dont on dispose.
Parfois certains viennent me dire qu'ils aimeraient que j'écrive sur tel ou tel sujet, sur telle tonalité… On a toujours envie de dire aux gens : « C'est bien gentil ce que vous dites, mais vous n'avez pas l'air de comprendre que je n'ai pas le choix ! » De même qu'une femme enceinte ne choisit pas le sexe de son enfant, ne décide pas s'il sera un génie ou un crétin, on tombe enceinte de ce qui vient ! Et c'est une nécessité qui nous échappe, qui nous est imposée.
Mon seul choix est celui de publier ou pas, et c’est un choix colossal
Qu'est-ce qui préside à ce choix ? Votre éditeur ? L'exigence vis-à-vis de vous-même ?
Amélie Nothomb : Rien d'autre que mon instinct ! [Dans un rire] Mon éditeur aimerait évidemment recevoir tous les manuscrits et faire le tri à ma place, il n'en est pas question ! Si j'ai un conseil à donner, c'est de maintenir son éditeur dans cette position de supplication permanente !
Le processus du choix est toujours le même : à la fin de chaque année, je relis tout ce que j'ai écrit dans l'année, et c'est alors que je choisis celui des manuscrits qui sera publié.
Et ce moment de relecture provoque-t-il des surprises ?
Amélie Nothomb : Bien sûr, je le suis toujours ! C'est réellement à ce moment-là que je me dis : « C'est donc cela le monstre dont j'ai été enceinte ?! »
Cela nous amène tout naturellement à vos contes macabres. Cette série de « contes » , dont Les aérostats font partie, serait-elle en quelque sorte votre cabinet de curiosités ? Est-ce là que vous dépecez vos monstres ? [NdR : je me suis excusée, dans notre rire partagé, de l'outrance de la question].
Amélie Nothomb : Il y a de cela ! Mais ce sont tout de même d'abord mes enfants ! Ce sont mes enfants et je ne pense pas être une mère indigne ! Je ne suis pas le genre de mère qui enferme ses enfants dans les placards dans le but de les dépecer !
Les personnages de vos contes sont des allégories ; Pie est celle de l'Adolescent, Ange celle du Lecteur. Le risque n'est-il pas celui du « grotesque » ?
Amélie Nothomb : J'en ai conscience, mais ce n'est pas le but recherché ! [Dans un rire] J'ai conscience que mes déclarations donnent souvent à penser que je suis une espèce de gorgone, de sorcière ou de monstre. Mais si c'est le cas, ce n'est pas grave !
Depuis la sortie des Aérostats, il y a une dizaine de mois, vous recevez les retours de vos lecteurs, avec qui vous entretenez un rapport privilégié ; que vous disent-ils de ce texte qui vous touche particulièrement ?
Amélie Nothomb : Ce qui me ravit, c'est que la quasi-totalité de mes lecteurs se sont identifiés à mort soit à l'un ou à l'autre. C'est parfois stupéfiant : il est arrivé que de vieux messieurs me disent « Mais je suis tout à fait la jeune fille ! » , que de vieilles dames me disent : « Mais je suis tout à fait cet adolescent ! »
Caricaturalement, les (faux) sages se sont identifiés à Ange, et les rebelles à Pie. C'est ce que l'on peut espérer de mieux ! Lors d'une séance de dédicaces, une toute vieille dame se trouve devant moi et me dit « mais vous savez, moi aussi j'avais envie de tuer mes parents » , c'est fantastique !
Les paroles de cette vieille dame sont à la fois directes, extrêmement intimes, et ne pourraient survenir dans un contexte « normal» , lors d'une première rencontre avec une inconnue. Est-ce votre écriture qui provoque, ou permet cela ?
Amélie Nothomb : Oui absolument ! En presque 29 ans de publications, le gain de temps a quelque chose de fulgurant. Peut-être cela vient-il de mon écriture – pour des raisons qui me dépassent, que je ne peux pas identifier, mais que je constate – qui permet une identification de façon assez vertigineuse. Et qui me fait gagner un temps fou dans mes relations avec mes lecteurs !
Ce que me disent les lecteurs d'eux-mêmes, je ne l’aurais peut-être pas su si nous nous étions fréquentés durant 30 ans. Et nous entrons de plain-pied dans une relation infiniment plus profonde que nous n'aurions eue si nous nous étions simplement côtoyés.
Est-ce que tout a été dit sur les Aérostats ?
Amélie Nothomb : Je suis un auteur très privilégié, en ceci que mes livres continuent d'être lus 20 ans, 30 ans plus tard. Les plus belles réactions sur Hygiène de l'assassin, par exemple, [Ndlr : son premier titre publié, à 18 ans, en 1992, chez Albin Michel, comme tous les titres qui suivront] c'est maintenant que je les reçois ; à supposer que de belles choses restent encore à dire, je suis certaine qu'elles viendront plus tard !
Est-ce cela, bâtir une œuvre ?
Amélie Nothomb : [Riant] Tout ce que je peux dire c'est que je l’espère ! Ce serait tout de même extrêmement prétentieux de ma part de vous dire « mais oui, ma chère amie, bien sûûûûûûûûr » !
L'accroche des Aérostats « la jeunesse est un talent, il faut des années pour l’acquérir » pourrait-elle s’adresser à la jeune autrice d’Hygiène de l’assassin ?
Amélie Nothomb : Oui absolument. Je ne prétends pas du tout être jeune, mais il est clair que je suis plus jeune maintenant que je ne l'étais à 19 ans, j'étais exactement comme le personnage d'Ange, sérieuse, grave et finalement d'une absence de jeunesse assez consternante.
Une sorte de légèreté de vivre, une façon d'accepter le temps exactement comme il vient, une absence du souci du lendemain… Ceci m'était totalement étranger à 19 ans, je m'inquiétais abominablement pour l'avenir.
Et cette toute jeune autrice de 19 ans, que dirait-elle à la romancière qui s'apprête à publier son trentième roman ?
Amélie Nothomb : Je n'ai jamais été très tendre envers moi-même... Je pense que je lui dirais… « Tu es toujours là toi ?! »
Les aérostats, l’histoire d’une très jeune femme, Ange, philologue, face à un adolescent, Pie, auquel elle va donner le goût et la soif de lire. Quels sont ces premiers textes qui ont laissé un souvenir marquant de cette découverte ?
Amélie Nothomb : Je n'avais pas trois ans quand j'ai appris à lire. C'est dans Tintin en Amérique, au moment où la vache sort de l'usine par un robinet sous forme de saucisse que je me suis rendu compte que je savais lire. Ce fut là mon premier choc littéraire.
Ce furent ensuite, j'avais 9 ans, Les Misérables. Je voulais lire Les Misérables pour impressionner mes parents et c'est moi qui fus finalement impressionnée et bouleversée. Durant le premier confinement, j'ai relu pour la première fois ce texte, et il m'a fait plus d'effet encore. Un livre capable de vous impressionner que vous ayez 9 ans ou 52, c'est tout de même, excusez-moi, un « putain de chef d’œuvre » .
Le livre que vous relisez le plus ?
Amélie Nothomb : Je suis une très grande relectrice. Les jeunes filles de Montherlant est le livre que j'ai le plus relu de ma vie, plus de cent fois. J'ai relu 64 fois La chartreuse de Parme, et je relis Le portrait de Dorian Gray chaque année.
On sait et l'on retrouve à chaque titre votre immense culture classique : parmi les auteurs contemporains, qui lisez-vous ?
Amélie Nothomb : J'admire très particulièrement l'une de vos compatriotes, Stéphanie Hochet. Comme tout le monde, Emmanuel Carrère et le vénéré Haruki Murakami, et un autre écrivain japonais écrivant en français Akira Mizubayashi [NDLR : Prix des Libraires 2020 pour Âme brisée ], en commençant par Une langue venue d'ailleurs. Vous verrez !
Le titre que vous n'avez jamais pu terminer ?
Amélie Nothomb : J'avoue, et je n'en suis pas fière, L'Ulysse de Joyce
Le titre que vous auriez aimé écrire ?
Amélie Nothomb : La Bible parce que croyez-moi, je ne l'aurais pas écrite comme cela !
Le livre dont vous auriez été tellement fière d'être la dédicataire ?
Amélie Nothomb : Oh !... Que ma joie demeure de Giono.
Et votre prochain titre ?
Amélie Nothomb : [Riant] Je ne dirai rien !
Qu'Amélie Nothomb soit ici remerciée de sa disponibilité, de son écoute et de sa délicatesse.
Vous pourrez l'écouter, la rencontrer, ou la découvrir, lors d'une conversation littéraire autour des Aérostats, animée par Paola Dicelli, journaliste Culture à Elle, ce samedi 12 juin de 14 H à 15 H au Centre Événementiel • Salle Bleue / Courbevoie.
Amélie Nothomb - Albin Michel
Les aérostats - 9782226454089 - 17.90 €
Premier sang - 9782226465382 - 17.90 € (à paraître le 18 août 2021)
Paru le 19/08/2020
172 pages
Albin Michel
17,90 €
Paru le 18/08/2021
180 pages
Albin Michel
17,90 €
5 Commentaires
Jujube
05/06/2021 à 06:18
Un phénomène très précieux et qui se gouverne par la trique de l'écriture, Amélie Nothomb.
Sa passion pour la rencontre aves ses lecteurs- charnelle, vocale, naturelle, indispensable pour continuer d'être. Un long parcours qui renforce, à chaque fois, ces liens puissants entre le texte et la voix, ces liens d'amitié entre complices.
Son grenier de manuscrits-surprises dont elle extrait, tous les ans, celui qu'elle livrera à l'éditeur: c'est fabuleux!
Marie
05/06/2021 à 08:28
Madame Nothomb a tenu parole à la parution de son premier roman ("L'hygiène de l'assassin" ?)puisqu'elle a publié ensuite un roman l'an.Je l'ai suivie quelques années, puis me suis lassée de l'écriture qui avait, au tout début, le mérite et l'attrait de l'insolite. Par contre une jeune amie chinoise a adoré : "L'hygiène de l'assassin"...Le cycle recommence, tant mieux pour l'auteur.
Nausicaa
06/06/2021 à 00:17
Merci pour cette intéressante interview. Deux erreurs factuelles toutefois :
- Amélie Nothomb ne rencontrera pas le public "pour la première fois depuis très longtemps", puisqu'elle l'a rencontré à la Foire du livre de Bruxelles au mois de mai.
- D'après sa biographie officielle, Amélie Nothomb est née en 1967 et Hygiène de l'assassin a été publié en 1992. Elle n'avait donc pas 18, mais 25 ans à l'époque...
Pascaline
11/06/2021 à 14:49
La première fois, c'était à Bruxelles, Nausicaa a raison ! Peut-être l'ai-je croisé(e) ? Un moment de partage, un souvenir superbe pour ma fille et moi. Amélie (Fabienne) Nothomb a une aura merveilleuse qui apaise ... Peut-être pas "sorcière" comme évoqué dans cet article, mais "petite fée" certainement ! Sa voix, sa curiosité de tout, son respect pour ses lecteurs, son intelligence, sa culture, cette folie douce qui est la sienne : je fonds !
claude victor naessens
04/11/2022 à 23:25
en 2019, les éditions librinova publient mon premier roman intitulé " quelle drache ! "
et dont le personnage principal du chapitre XV ( in vino sanitas ? ) se nomme Lady Amélia de Northumberland, autrice de " saisissement et tsunami "
j'en informe alors Amélie Nothomb par une lettre adressée aux éditions Albin Michel
et quelle n'est pas ma stupéfaction lorsque je reçois une longue réponse manuscrite de cette célébrissime personne qui dit avoir beaucoup ri en me lisant et termine sa missive par ces mots pour moi inoubliables : vous avez une imagination fabuleuse, j'espère que vous allez bien et je vous embrasse.
cela m'a prouvé deux choses : un, que je suis pas tout à fait nul, deux, surtout qu'Amélie Nothomb est d'une gentillesse et d'une simplicité absolument remarquables
un grand merci à vous, Madame !