Ce 2 juin doit ressortir chez Bragelonne le livre Wonderful pour les 20 ans de la maison : initialement signé David Calvo, l’autrice a entamé depuis quelque temps un processus de republication avec son véritable prénom, Sabrina Calvo. Une réédition prévue d’assez longue date, que perturbe désormais la récente parution d’un article dans Médiapart, mettant en cause le directeur éditorial de la maison, Stephane Marsan. « Difficile de ne pas y voir un souci majeur », nous explique-t-elle.
Le 01/06/2021 à 16:34 par Nicolas Gary
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01/06/2021 à 16:34
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Les premiers pas de Sabrina Calvo dans l’édition se firent avec Stéphane Marsan aux éditions Mnémos. « J’ai poursuivi avec un ouvrage chez Bragelonne, Wonderful, au moment de la création, mais j’ai préféré arrêter là : il y avait un malaise vis-à-vis de leur politique éditoriale et des paramètres relationnels qui entraient en compte », nous indique-t-elle. Rien, à ce titre, lié aux accusations alléguées de sexisme et harcèlement portées à travers Médiapart.
Voilà deux ans, Sabrina Calvo retrouve Stéphane Marsan, qui lui propose de republier Wonderful sous son vrai nom. Elle accepte, et voici que le livre est inscrit par Bragelonne dans le programme des 20 ans de la maison. Et puis, le 21 avril, survenait le fameux article. « Les rumeurs étaient nombreuses », se souvient Sabrina Calvo. « Mais je n’ai pas su me dépatouiller de ça — j’ai fait l’essentiel de ma carrière en tant qu’homme et aujourd’hui, je suis avec les femmes. J’ai un regard un peu plus clair sur tout ça. »
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Si le bénéfice du doute s’impose, « la camaraderie dans l’édition, c’est un souvent sexisme généralisé : si l’on en désigne un, on les désignera tous. Personnellement, j’ai vu des choses très problématiques durant les Utopiales par exemple, et j’en ai parlé, sur scène, là-bas », souligne l’écrivaine. « L’an passé, ils m’ont proposé de venir, mais j’ai refusé, tant qu’ils ne mettaient pas en place une charte. Je l’attends toujours. »
Pour autant, si l’article de Mediapart l’inquiète, Sabrina Calvo ne se décidera à réagir qu’à la lecture du droit de réponse, formulé par les avocats de l’éditeur, Me Emmanuel Pierrat et Me Marie Petrement. « À aucun moment, après une vingtaine de témoignages, n’est exprimée la moindre remise en question. Des menaces violentes. Elles seraient toutes menteuses, et ce serait une cabale du fait du succès de la maison ? Ce ton méprisant, dans un moment où il faudrait apprendre à respecter la parole des femmes, m’a fait sortir de mes gonds. »
Les réponses à apporter s’imposent rapidement : s’opposer à la republication de Wonderful dans le programme des 20 ans de la maison, « pour ne pas cautionner par mon attitude toute cette situation ». Pourtant, prenant en compte le travail des équipes de Bragelonne, Sabrina Calvo aménage une porte de sortie : « J’accepte la sortie, et je leur demande de reverser les droits sur la vente de mon livre à une association féministe, qui disposera de ressources supplémentaires. »
Dans un premier temps, une interlocutrice se montre favorable à l’idée, considérant que la maison a besoin de se sortir par le haut de cette histoire. Mais au final, la romancière essuie un refus. « On m’affirme que reverser mes droits de cette manière serait une façon de reconnaître les torts. Que pour le moment, aucune stratégie de communication n’est en place. Mais justement, c’était bien mon idée que de voir Bragelonne assumer. »
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L’éditeur finira par suggérer un avenant, permettant d’obtenir de nouveaux droits, réévalués, et calqués sur le premier contrat signé pour le livre. En ce cas, libre à l’autrice de reverser elle-même ses revenus. « Sur le moment ça m’a paru une chose acceptable à faire. J’ai senti que cela revenait à nier l’esprit de ma démarche, qui était de ne pas associer cette réédition de mon livre aux 20 ans de la maison dans un contexte d’absence de reconnaissance des torts et de remise en question. Je ne voulais pas que cela soit utilisé pour jeter le discrédit sur toute manœuvre collective par la suite. » Or, du collectif, il y en aura. Avec les femmes.
La réponse sera alors juridique : l’autrice ne signe pas l’avenant. Par recommandé, elle invoque son droit moral pour demander que le livre ne soit pas republié. « Je ne veux ni cautionner ni admettre, à travers cet ouvrage. Nous sommes toutes toutes seules, même si l’on est nombreuses. Et personne ne sortira gagnant sauf à montrer que nous sommes capables d’agir. C’est ce que j’ai compris. »
D’autant que l’ouvrage, inscrit dans la collection des vingt ans de la maison, s’il venait à être supprimé, laisserait un vide, aussi symbolique que significatif. Et peut-être à même de provoquer une jurisprudence, nous indique son avocate, Me Magaly Lhotel.
Si le droit patrimonial fait souvent débat, parfois recette, en matière juridique, le droit moral est moins souvent invoqué : divisé en quatre prérogatives, il faut se rapporter aux articles L121-1 à L121-9 du Code de la Propriété Intellectuelle pour le cerner. On y retrouve ainsi :
– le droit de divulguer ou non l’œuvre
– le droit au respect de l’œuvre
– le droit de paternité
– le droit de repentir (cesser l’exploitation) et de retrait (remanier l’œuvre).
En outre, l’article 6 de la convention de Berne mentionne bien la preuve nécessaire d’une atteinte à l’honneur et à la réputation de l’auteur. Ici, note l’avocate de Sabrina Calvo, Me Magaly Lhotel, « c’est le droit au respect de l’œuvre qui est convoqué ». En tant qu’attaché à la personne — ici, de l’auteure —, il faut justifier que la personnalité de cette dernière transparaît dans l’œuvre. « Et que la finalité de l’exercice de ce droit est bien de faire respecter l’intégrité de l’œuvre/son exploitation et non un but financier », souligne l’avocate.
Or, si le contrat d’édition « pouvait prévoir une édition spéciale de l’œuvre, il n’était pas précisé que cette édition spéciale devait célébrer les 20 ans de la maison ». De la sorte, le droit moral de Sabrina Calvo « pourrait donc être invoqué pour des raisons éthiques dans la mesure où cette édition viserait à célébrer l’anniversaire de la maison d’édition, en devenant un symbole ».
L’idée repose en effet sur une analogie avec les dispositions de l’article L. 132-16 du CPI :
L’éditeur ne peut transmettre, à titre gratuit ou onéreux, ou par voie d’apport en société, le bénéfice du contrat d’édition à des tiers, indépendamment de son fonds de commerce, sans avoir préalablement obtenu l’autorisation de l’auteur.
En cas d’aliénation du fonds de commerce, si celle-ci est de nature à compromettre gravement les intérêts matériels ou moraux de l’auteur celui-ci est fondé à obtenir réparation, même par voie de résiliation du contrat.
Par conséquent, « le changement d’éditeur peut porter atteinte aux droits moraux de l’auteur et si celui-ci peut alors demander la résiliation du contrat d’édition, c’est que la loi porte grande attention aux valeurs représentées ou mises en avant par la maison d’édition ». À ce titre, « on pourrait alors considérer qu’il y a un lien étroit entre ce que représente une maison d’édition et les droits moraux de l’auteur », pointe l’avocate.
Problème : non seulement la réédition est déjà imprimée, confirmait Bragelonne fin avril. A la réception du courrier de la romancière, s’opposant à la publication de l’édition anniversaire, le service juridique maison souligne que Sabrina Calvo a validé tous les éléments ayant trait au livre. La maison réfute donc toute forme d’atteinte possible à l’œuvre, elle-même, autant que l’argument du droit moral.
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En outre, le premier contrat signé cédait les droits exclusifs à Bragelonne, conformément aux dispositions en vigueur. Au choix donc : signer l’avenant proposé par la maison, et bénéficier de meilleures dispositions financières, ou ne pas le signer, et voir s’appliquer les modalités prévues par le contrat originel.
« Aujourd’hui, je suis dans le flou, mais je sais aussi que je suis un peu plus dans le juste », reprend Sabrina Calvo. « Et j’entame ce qui est probablement le plus important engagement de ma vie d’artiste. J’ai eu des combats, dans une vie politique, mais jamais à ce point dans mon travail éditorial. »
Récemment, la maison Bragelonne a été interpellée par huit autrices — dont Sabrina Calvo — demandant que la maison s’engage à ouvrir une enquête interne, considérant que « l’absence complète de réaction de la société Bragelonne laisse à penser que cette dernière cautionne les agissements de son président dans un cadre professionnel », comme elles l’écrivaient dans une tribune diffusée par ActuaLitté.
Or, à ce jour, Stéphane Marsan bénéficie toujours de la présomption d’innocence, de même qu’aucune plainte n’a été déposée, pas plus qu’il n’a été condamné.
« Au regard de la gravité des faits allégués et de l’absence de réponse satisfaisante, tant de la part de Monsieur Stéphane Marsan que de la société Bragelonne, il ne nous est plus possible que notre nom et nos œuvres restent associés au nom de la société Bragelonne et de ses labels Milady/Castelmore », indiquaient pourtant les signataires.
Contactées, les éditions Bragelonne n'ont pas encore retourné nos demandes de commentaires.
Crédits illustration : pixabay
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 02/06/2021
305 pages
Bragelonne
10,00 €
7 Commentaires
Hic et nunc
02/06/2021 à 08:21
Encore une tempête dans un verre d'eau...
C'est un contrat : il a été signé. Il s'applique. Aucun juge ne le fera sauter, sauf si le contrat est initialement abusif (ce qui est fort possible, étant donné les pratiques dans l'édition... surtout si on remonte en arrière). De plus, l'avenant était à l'avantage de l'auteur.
Maintenant, vouloir en faire un fromage à partir de là... Cette dame n'a rien subi (dit-elle) de la part de Marsan. Elle sous-entend qu'elle a fait de l'engagement politique (féministe ?).
Je crois que tout est dit. Franchement, plus je vois ce genre de pratique et plus j'ai l'impression d'une grosse instrumentalisation autour de Marsan. Je ne connais pas le bonhomme, mais les pratiques de ces femmes autour de lui ne sentent vraiment pas bon...
Ed
02/06/2021 à 08:33
Avez-vous bien lu ? Il y a un contrat, et un avenant. Et l'avenant ne semble pas signé.
Quant au contrat, il n'empêche en rien d'invoquer le droit moral comme le fait l'auteure, estimant que son oeuvre est associée à une maison dans des circonstances qui ne lui conviennent pas.
Il ne manquerait plus que l'on s'écrase sous prétexte de contrat !!
WH
02/06/2021 à 09:46
Ben non, comme le dit l'article, le droit moral d'auteur comporte bien un droit de retrait, dont aucun contrat d'éditeur ne peut s'affranchir... Sabrina Calvo est donc dans son droit.
Sinon, pour moi, ce qui sent mauvais, c'est plutôt l'acharnement de Bragelonne à refuser toute communication sur le sujet, ou même à ouvrir une enquête interne...
Parler d'un complot des 25 femmes interrogées par Médiapart (dont certaines, comme Catherine Dufour, sont bien plus célèbres dans le milieu de la SFFF que Stéphane Marsan), c'est un peu court, jeune homme...
Hic et nunc
04/06/2021 à 08:30
https://www.sgdl.org/sgdl-accueil/presse/presse-acte-des-forums/le-droit-moral/1123-les-attributs-du-droit-moral
« Ce sont des droits dont on entend un peu moins parler. Le droit de repentir est le droit de modifier l'oeuvre, le droit de retrait est le droit de revenir, par une rupture unilatérale, sur la cession des droits qu'on a confiés à un tiers. Ce sont des droits qui s'exercent après la divulgation (par exemple une oeuvre a été éditée et l'auteur veut y faire des corrections). La loi a encadré ces droits d'une certaine manière puisque si l'auteur a la possibilité d'exercer, de modifier par exemple son texte, dans le cas du droit de repentir, ou de revenir sur la cession des droits, dans le cadre du retrait, c'est avec un certain contrôle. La loi prévoit le principe d'une indemnisation, l'auteur devra ainsi indemniser le cessionnaire du préjudice que le repentir ou le retrait lui fait subir.
La loi prévoit en second lieu, un contrôle du juge sur l'exercice de ces droits pour éviter qu'il y ait abus du droit de repentir ou de retrait. Un auteur ne pourrait pas, par exemple sous prétexte qu'il veut revenir sur des conditions financières contractuelles, comme le taux de rémunération, invoquer un droit de retrait ou de repentir pour revenir sur un contrat de cession de droit valablement passé. »
Le droit de retrait ne semble pas entrer dans les conditions que vous évoquez. De plus, il est parfaitement encadré par la loi et semble coûter de l'argent à l'auteur, puisqu'il doit indemniser l'éditeur. Il est nulle part sous-entendu que ce droit serait sous-tendues à la (mauvaise) réputation d'un éditeur.
Fred
02/06/2021 à 23:50
Complètement d'accord ! C'est à croire que certaines profitent de cette histoire pour bien se faire voir et pourquoi pas vendre leurs livres, par la même occasion.
Sérieux Actualitté, il se passe rien d'autre dans l'édition ? Et ce Marsan serait le seul dans le milieu à avoir eu des comportements limites ? A tellement s'acharner sur quelqu'un ça sent quand même un peu le règlement de comptes...
Marco
02/06/2021 à 16:53
Quel courage et quel cheminement intéressant (très bien présenté au fil de l'article) ! Le pouvoir des auteurs réside certainement dans ce refus de donner des mots à n'importe quel prix. Sabrina Calvo force le respect. Bel exemple pour nous tous.
Joe
07/06/2021 à 10:12
Qu'elles s'en aillent ! et bon vent.
Moi je continuerai d'acheter chez Bragelonne, pour soutenir la maison et ses salariés, et pour défendre Marsan, parce que j'ai une sainte horreur de la meute et du lynchage.
Et qu'est-ce que c'est que cette injonction faite aux salariés de Bragelonne : Enquêtez ou alors vous êtes des salauds. Foutez-leur la paix, ils travaillent !
Marsan est un dragueur, peut-être; peut-être même un dragueur lourd; mais cette façon de dénoncer sur le Net, en appelant à la mort sociale d'un individu avant-même que sa culpabilité soit prouvée, c'est ignoble; d'ailleurs de quelle "culpabilité" parle-t-on !?!
Un regard appuyé; une remarque sur un décolleté (ma pauvre dame! mais à beaucoup de femmes on n'en fait jamais, mais de celles-là vous n'avez rien à faire, confites que vous êtes dans votre petit combat postmarxiste des femmes contre les hommes).
Quand une femme normale reçoit un hommage qu'elle considère comme déplacé, à juste titre ou non, elle gifle le malotru, ou place un coup de genou à l'endroit approprié; celles qui ne réagissent pas soit ne sont pas gênées (il y en a; pensez-vous à elles?) soit sont implicitement d'accord pour retirer certains avantages de la situation.
Et toutes celles que nous entendons pleurnicher aujourd'hui évoquent des faits déjà anciens. Elles n'ont donc pas réagi sur le coup. Elles ont donc fait partie de l'une des deux catégories précitées, et à mon avis plus probablement de la seconde. C'est-à-dire qu'elles ont trouvé tout à fait supportable la drague lourdingue de Marsan tant que cela pouvait leur rapporter quelque chose, et, aujourd'hui qu'elles estiment n'en avoir plus besoin, elles le dénoncent publiquement.
Giflez-le sur le moment ou foutez-lui (foutez-nous) la paix.