Bisbille dans l’interprofession ? De toute évidence : la société Cyber Scribe, connue par ses services de référencements d’ouvrages pour les petites maisons et éditeurs autodistribués, fait les frais d’une colère de Dilicom. Dans un courrier émanant de la directrice générale, Véronique Backert, les clients découvrent un changement contractuel majeur : l’obligation de passer par Dilicom pour assurer « le référencement de vos titres dans le FEL et pour la transmission des commandes ».
Le 14/01/2021 à 08:51 par Nicolas Gary
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14/01/2021 à 08:51
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Le projet de Bernard de Fréminville, père spirituel de Dilicom, résidait dans la gestion des flux aller et retour, activité qu’Electre avait abandonnée au milieu des années 90. Dilicom opère depuis 1989, étant accessible à tout professionnel, pour les commandes, les catalogues, les avis d’expédition ou les facturations.
Conscient de ses limites, l’acteur décide, en mars 97, de confier à Cyber Scribe une activité complémentaire : la gestion des éditeurs autodistribués et des petits distributeurs.
L’accord fut signé avec cette clause très précise :
Le partenaire concerné appliquera aux éditeurs ou distributeurs qui lui seraient connectés les moyens, méthodes et tarifs de son choix, ces éditeurs ou distributeurs étant ses propres clients et non ceux de Dilicom.
Le Prestataire fera son affaire de toutes les relations avec les éditeurs inscrits à son service. Ces éditeurs sont les clients du Prestataire et non de Dilicom […]
Historiquement, l’activité de ce hub interprofessionnel réside dans l’échange de données informatiques (EDI), afin de fluidifier la circulation d’infos entre libraires et distributeurs. Comprendre : prise de commandes des librairies et envoi vers les distributeurs, et mises à jour des catalogues distributeurs, pour une transmission aux libraires. Mais un volet manquait.
Grâce à Cyber Scribe, les éditeurs autodistribués et distributeurs allaient donc intégrer le réseau interprofessionnel de Dilicom. Durant plus de 24 ans, l’accord a été maintenu, le premier agissant comme Concentrateur (ou Distributeur virtuel), pour des acteurs disposant de moins de 1000 titres. Son offre d’abonnement se déclinait en quatre éléments :
• référencement de l’éditeur
• référencement de la structure de distributeur
• référencement des titres dans le Fichier Exhaustif du Livre (FEL)
• transmission des commandes des libraires
Le FEL a pour vocation de contenir tous les ouvrages d’éditeurs francophones, sans considération de leur taille ou de leur modèle de distribution. Dans l’absolu, ce dernier permet donc de faire connaître le catalogue des maisons à tous les libraires du réseau Dilicom. Pour les structures qui disposent d’une distribution, le référencement est opéré par le distributeur — charge au responsable de s’assurer que ce dernier est bien effectif. Pour les maisons autodistribuées, l’inscription au FEL dépend donc de ce qu’elles procéderont à ce référencement.
Durant plus de 24 ans, l’accord a été maintenu, avec Cyber Scribe agissant comme Concentrateur (ou Distributeur virtuel), pour des acteurs disposant de moins de 1000 titres.
Par la suite, sur demande de Dilicom, Cyber Scribe accepta d’ouvrir, en 2003, son service de référencement aux « petits éditeurs autodistribués ». Cette option permettant le référencement gratuit des ouvrages dans le FEL — et offrait à l’opérateur un nombre de prospects pour son option payante. Il n’aura cependant cependant pas joui de la manne promise : les clients optaient plus facilement pour la version gratuite que l’offre payante.
Cyber Scribe s’est donc mis en devoir de fournir de nouveaux services complémentaires, également pour pallier le petit nombre de commandes provenant de Dilicom. Au cours des années, ces dernières se sont progressivement effondrées.
Dès lors, leurs ouvrages étaient présents sur la marketplace de revendeurs, et les maisons profitaient d’outils diversifiés (gestion des ventes pour l’impression à la demande, livres numériques, etc.). De quoi garder des clients payants. Cette solution centralisée permettait, malgré tout, aux éditeurs de se développer sur différents fronts.
Aujourd’hui, la société travaille avec plus de 5400 clients — dont 750 abonnés à la réception de commandes Dilicom, représentant plus de 180.000 titres. Le tout avec plus de 500.000 ouvrages référencés et quelque 15 millions de lignes de commandes traitées, le tout sans incident.
Or, le courrier expédié ce 12 janvier par Dilicom a soudainement mis, officiellement, le feu aux poudres : un nouveau type de facturation est introduit, impose aux actuels clients de Cyber Scribe, de payer deux fois pour un service identique. « Dilicom a voulu changer les règles de l’appel à proposition en imposant de reprendre le contrôle du référencement des ouvrages sur son site afin d’établir un lien direct avec les petits éditeurs et distributeurs », indique Cyber Scribe.
Au cours de leur collaboration, toutes les demandes formulées furent exécutées, souligne Michel Régnier, président de Cyber Scribe, à ActuaLitté. « Nous avons toujours accepté les modifications, pour ne jamais les mettre en porte-à-faux ni en péril. »
Mais cette fois, le bouchon est poussé trop loin : un changement « de paradigme décrété de façon unilatérale », insiste l’opérateur, d’autant plus néfaste que Dilicom « a déréglé la belle mécanique d’origine ». En effet, les mises à jour opérées par les éditeurs, clients ou non, depuis son site, devaient remonter à Cyber Scribe immédiatement afin de maintenir une identité parfaite entre les deux bases de données, mais ce ne fut jamais le cas.
« Dans leur esprit, il s’agissait de récupérer le référencement sur leur site, via notre système », reprend Michel Régnier. Comme toutes les précédentes exigences étaient satisfaites, celle-ci aurait dû passer. « Voyant qu’ils ne jouaient pas le jeu, et que cela ne fonctionnait plus, nous avons coupé les outils. Et les problèmes ont commencé. Mais nous n’acceptions pas de ne plus recevoir les informations éditeurs en temps réel. »
Les règles du jeu changées, une autre difficulté se profile. En effet, le FEL a vu sa gestion confiée à Dilicom, voilà plus de 20 ans. Une position s’apparentant à un monopole, diront certains. Les clients de Cyber Scribe, pour s’y trouver, devraient donc payer les services de Dilicom, sous peine d’être exclus du fichier — et l’obligation de traiter en direct donc, avec le hub interprofessionnel.
D’un côté, le prestataire refuse ce qui s’apparente à une prise d’otage, et de l’autre, il demande la reconnaissance de la propriété de ses clients et du maintien de son activité. « Tous les contrats sont automatiquement renouvelés pour 2021, les éditeurs n’ont pas besoin de signer quoi que ce soit avec Dilicom. ». Mais si ce dernier souhaite facturer en direct, cela reviendrait à siphonner entièrement les clients de son ancien partenaire.
En refusant de reconnaître l’appartenance contractuelle des clients à Cyber Scribe, Dilicom envisage donc de faire cavalier seul. Avec pour conséquence, une réaction violente de tous les clients de Cyber Scribe qui se voient pris entre deux feux, de plus, une quinzaine de nouveaux clients de Cyber Scribe se retrouvent bloqués parce que Dilicom ne traite pas les nouvelles demandes de référencements.
« Nous avons toujours agi dans l’ombre de Dilicom, sans être jamais associés pleinement aux discussions ni considérés comme un partenaire de la chaîne du livre. Nous représentons peut-être une prestation technique, mais notre activité dépasse de loin cet aspect », indique Michel Regnier.
« Que la libre concurrence s’exerce est une chose : c’en est une autre que de balayer plus de 20 années de collaboration en sachant que c’est la mort annoncée de Cyber Scribe ! Sans compter que nous sommes contraints d’utiliser les services de Dilicom pour référencer les ouvrages sur le FEL et recevoir les commandes des libraires », poursuit-il.
Or, pour les éditeurs, les solutions qui se profilent ne sont pas des plus simples : « Soyez assuré que nous tiendrons compte de chaque cas afin que vous ne soyez pas pris en otage par une situation qui concerne Dilicom et un prestataire de services », pointe la directrice générale dans un courrier à une maison, dont ActuaLitté a obtenu copie.
Les perspectives pour 2021 sont sans appel, car le mail de Dilicom présente ses nouvelles conditions tarifaires comme étant applicable dès le 1er janvier 2021 avec, comme seule option, celle de demander un avoir à Cyber Scribe, et pour 2022 ces dernières ne sont cependant pas tendres : soit payer les deux opérateurs, soit adopter Dilicom uniquement. Avec le risque, en dehors de ces deux options, de ne plus être référencés dans le FEL, mais également de ne plus recevoir de commandes via Dilicom.
Notons que, suite à ce mail, de nombreux éditeurs ont fait part à Dilicom de leur total refus suite à ces injonctions et manifestent leur soutien entier et total dans cette situation à l’opérateur menacé.
« Il est évident que Cyber Scribe fera tout pour protéger ses clients dont le contrat a été automatiquement reconduit pour 2021 et compte se battre contre cette injustice afin de ne pas disparaître », insiste Michel Régnier.
« Tous les services continuent d’être parfaitement assurés (référencement des ouvrages sur le FEL de la CLIL géré par Dilicom et transmission des commandes libraires). En outre, nous garantissons qu’aucun surcoût ne vous sera facturé », ajoute-t-il. « Il convient donc bien sûr de ne signer aucun contrat, quel qu’il soit, avec Dilicom. »
Pourquoi ce coup porté ? La question ne relèverait pas même de l’enjeu financier : Dilicom est une structure à but non lucratif, tous ses bénéfices sont immédiatement réinvestis. Alors, une guerre autour de la data et de la maîtrise des informations, autant que des échanges ? Possible.
Contactée, la directrice générale, Véronique Backert, « ne souhaite pas commenter pour le moment la situation actuelle qui exige selon moi de la décence et de la retenue. Il s'agit d'un problème privé entre deux sociétés qui ont à gérer une fin de contrat difficile ».
Un bug entre flux allers et flux retours, en somme.
crédits photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
15 Commentaires
Corinne Niederhoffer
14/01/2021 à 10:08
Dans cette période où la culture est malmenée, il est incompréhensible de constater de tels agissements.
Nous sommes les otages d’un conflit d’entreprise comme l’écrit Nicolas Gary en reprenant Michel Régnier.
Drôle de monde, nous allons fêter bientôt nos trente années d’existence, j’ai parfois du mal à tout suivre. Mais l’univers du livre est loin d’être un long fleuve tranquille.
Une difficulté de plus…
Libre sans air
14/01/2021 à 21:10
Oh, le joli tapage... oh, le vilain sketch !
Depuis quand Dilicom se permet-il d'agir en acteur monopolistique ?
Depuis quand Cyber Scribe aurait dû trouver une place dans les discussions interprofessionnelles ?
Tout cela ne présage rien de bon, rien du tout.
Marie Brunswick
15/01/2021 à 21:17
Les grands groupes d'édition ne cessent de mettre des bâtons dans les roues des petits éditeurs indépendants qui, grâce à leur dynamisme et leur carisme, publient un nombre total d'ouvrages de qualité qui leur dérobent " une part de marché.
Ces grands groupes se comptent sur les doigts d'une seule main et se cachent plus ou moins derrière la diversité des maisons d'édition qu'ils ont achetées (consulter par exemple les Wikipedia de Hachette ou de Gallimard ). Ils maîtrisent ou tentent de maîtriser presque tout : les diffuseurs, les jurys des prix, les commissions des organismes subventionnés , les grands salons du livre.
Eliminer la visibilité des éditeurs indépendants en leur rendant l'acces au FEL impossible ou extrêmement difficile est exactement le coup de grâce dont ils rêvent.
Il me semble qu'il serait judicieux d'en avertir le ministre de la culture et d'initier des concertations pour mettre cette question au clair.
Cyber Scribe joue un rôle essentiel, vital même pour la survie d'une culture non soumise aux nécessités de la distribution de dividendes aux actionnaires des grands acteurs de la filière du livre. C'est un problème national très grave .
J'invite tous ceux qui ont envie de se battre à répondre à ce commentaire et à proposer des moyens d'action.
Sophie Thircuir
17/01/2021 à 18:42
Bonjour,
Je souscris totalement à l'analyse de Marie Brunswick concernant la situation de domination exorbitante des grands groupes face aux petites maisons d'édition indépendantes. Qu'est-ce qui a motivé la directrice de Dilicom à vouloir modifier les clauses de l'entente avec Cyberscribe ? S'agit-il de faire payer deux fois les petits éditeurs ? de les couler ? alors qu'ils ont subi de plein fouet les fermetures des librairies et les annulations des salons et autres manifestations culturelles pendant plusieurs mois en 2020.
Que pouvons-vous faire face à ce coup porté ? Qui a inspiré à Mme Véronique Backert ce procédé si peu loyal ? Si un règlement rapide du conflit entre Dilicom et Cyberscribe n'intervient pas, nos sociétés sont en danger... Et quelle est la réaction de la ministre de la culture ? Est-celle informée, s'en soucie-t-elle ?
Ama
19/01/2021 à 07:48
Mais, mais, je croyais que le grand méchant était Amazon.
Se pourrait-il que les grands éditeurs français agissent de même ? On n'oserait le croire.
Niederhoffer Corinne
19/01/2021 à 09:50
Je pense que c’est différent, mais le monopole des grands groupes arrive.
Papetiers, éditeurs, diffuseurs, distributeurs, médias, libraires, pilon, référencements maintenant…
J’en oublie certainement, les maisons d’édition qui font leur travail ne peuvent pas rivaliser.
Me concernant, c’est la passion qui me fait tenir, je ne travaille qu’avec des auteurs qui comprennent ma démarche, ceux qui ne souhaitent que briller en haut de l’affiche avant tout ne sont pas chez moi.
Ce qui est désolant c’est cette dictature de la finance.
Taquin
19/01/2021 à 12:11
« je ne travaille qu’avec des auteurs qui comprennent ma démarche »
Comme d'agir comme au XIXe siècle et exiger des manuscrits papier... Comme Gallimard quoi ;-)
Corinne Niederhoffer
19/01/2021 à 12:33
Je reçois tous les jours environ 20 manuscrits par courriel et 30 par semaine par La Poste ?
Ne sortant que 8 romans dans l’année…
Je ne comprends pas votre réponse, monsieur ou madame Taquin ?
Taquin
20/01/2021 à 07:42
Ne représentez-vous pas les Éditions Élan Sud (c'est ce que ressort d'une recherche avec votre nom ) ? Sur la page de manuscrit, il est écrit que les auteurs doivent envoyer leur manuscrit au format papier...
Corinne Niederhoffer
20/01/2021 à 08:56
c'est tout a fait juste, je n'accepte pas les textes envoyés par courriel et malgré tout j'en réceptionne.
Je ne les imprime pas, donc ils ne sont pas lus.
Mais cette conversation n'a rien à voir avec le sujet.
Taquin
20/01/2021 à 15:12
Donc, vous vous alignez bien sur les pratiques de Gallimard & Co, tous ces éditeurs qui filtrent les auteurs en les obligeant à passer par le papier.
À moins d'être dans les cercles autorisés, comme vous le laissez supposer, puisque vous accepter de lire des manuscrits numériques.
Donc, encore des pratiques de Gallimard & Co...
Et après, on déclame qu'il n'existe pas de collusion entre les éditeurs et certains...
Tout le monde il est égal, mais pas tous quand même ;-)
Villevieille Paul
18/01/2021 à 12:13
Tant que DILICOM, qui semble être à l'origine du conflit, ne dévoile pas les VRAIES raisons de ce clash, sans artifice ni faux-fuyant, les petits éditeurs préféreront la continuité dans les services plutôt qu'une nouvelle aventure, dont ils ne voient pas l’intérêt.
Un peu de franchise, DILICOM !!
P. Villevieille
ARFON MAISON D'EDITION
11/06/2021 à 16:56
Nous allons suive votre choix qui nous parait le plus sage. Merci d'avoir donné votre position.
Marie Brunswick
20/01/2021 à 19:30
Imprimer les manuscrits ce n'est pas bon pour les Forêts ni pour la planète !
Pierre
15/04/2022 à 22:20
Je voulais diffuser cette vidéo qui concerne les graves problèmes de communication que j'ai eus avec cette structure.
https://www.youtube.com/watch?v=0guGtCMAXCg