Voilà plus d’un an que le groupe Madrigall travaillait en sous-marin au projet : le livre audio, vaste objet de désirs, nécessite un accompagnement commercial plus structuré. La croissance de ce marché, l’évolution des usages et l’intérêt des différents opérateurs placent tous les curseurs dans le vert. Mais encore faut-il pousser les offres pour séduire un plus large public.
En septembre 2021, le Centre national du livre ouvrait un programme de soutien à la production d’audiolivres — des aides de 2000 à 50.000 €. La croissance des ventes atteste d’un véritable dynamisme, et le baromètre des usages numériques abonde : 9,9 millions de Français auront découvert l’audiolecture durant l’année 2021.
Or, d’un côté Audible, la filiale d’Amazon, tente de dévorer le marché en achetant à tour de bras des droits d’adaptation (10 millions € investis chaque année). De l’autre, les Deezer et autres Spotify valorisent des abonnements illimités pour moins de 10 €. Et sur certains territoires comme l’Italie ou l’Espagne, ces modèles ont permis de structurer le marché.
Pour autant, l’illimité n’a pas bonne presse chez les éditeurs français : au temps où les offres de lectures d’ebooks sont apparues, les levées de boucliers n’ont pas manqué. Au point que la Médiatrice du livre (Laurence Engel, alors), soit intervenue pour recadrer drastiquement le modèle économique.
Gare à la perte de valeur pour le format audio… d’autant qu’après deux années d’envolées, le livre numérique subit de fortes baisses — parfois à double chiffre — en cette année 2022.
Pour l’audiobook, l’essentiel des ventes s’opère aujourd’hui sur le modèle de souscription unitaire — celui instauré par Audible, et suivi par d’autres — ainsi que dans la vente à l’acte. « Les parts de marché demeurent assez faibles, pour la vente à l’acte, mais elles ne s’effondrent pas », relève toutefois Eric Marbeau, directeur commercial numérique de Madrigall.
Or, l’abonnement à 9,95 €, qui garantit un ouvrage audio chaque mois a certes des avantages, mais assurément pas celui de favoriser la découverte. « Le crédit unitaire devient une machine à valoriser les best-sellers : quand on ne dispose que d’un titre mensuel, on ne se hasarde pas à sortir des sentiers battus », poursuit-il.
De là l’impératif d’un autre modèle, qui, sans en être inspiré, rappelera celui instauré pour les abonnements de livres numériques. En effet, pour régulariser ces offres, une solution simple fut instaurée : le paiement à la page lue. Autrement dit, sur le crédit acheté par l’utilisateur, chaque page était déduite, progressivement, jusqu’à épuisement du solde. Cette approche avait l’avantage d’inciter à la diversification des lectures.
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Le tarif public de chaque ebook était divisé par le nombre de pages, et aboutissait alors à ce que les abonnements respectent bien le prix unique du livre numérique. Le marché se reconstruisait, légalement.
Madrigall semble donc avoir puisé dans cette solution — bien que l’audiolivre numérique ne soit toujours pas sous le coup du prix unique. « Nous avons travaillé sur un modèle “crédit temps”, à travers trois propositions, qui équilibrent un temps d’écoute et un coût pour les lecteurs », reprend Eric Marbeau. En l'occurrence, cette proposition préexiste dans différents pays, notamment ceux scandinaves.
Ainsi, Nextory est le premier revendeur à lancer de telles offres en France, avec un abonnement standard à 10 € qui valorise 15 heures d’écoute, celle à 14,99 € octroie 30 heures et la dernière, à 19,99 €, fournit 50 heures, accessibles pour 4 comptes d’une même famille. Sur l’ensemble du catalogue audiolivre que diffuse Madrigall, incluant les ouvrages d’éditeurs tiers, la durée moyenne d'un audiolivre représente 6 h 30 d’écoute. Dès la première offre, donc, on peut profiter de deux titres, avec quelques dizaines de minutes à investir dans des découvertes.
D'autres paliers d'offres pourraient être lancés avec d'autres revendeurs, et ceux-ci pourraient évoluer dans le temps, en fonction des résultats observés durant les premiers mois.
Deux objectifs en découlent : si l’offre est principalement tournée vers les adultes, ce sont les ouvrages jeunesse que le groupe entend promouvoir auprès des familles via l’accès en multi-compte. « Ces formules de crédits apportent une préservation de la valeur, pour la profession. Elle constitue aussi l’occasion de piocher dans d’autres oeuvres que les best-sellers, puisque le temps devient la mesure », observe le directeur commercial numérique.
Conquérir un lectorat jeune implique également que la proposition se diffuse — et Madrigall espère augmenter ses chances de recruter, avec ce modèle, susceptible d’être commercialisé par d’autres revendeurs, y compris des libraires et des enseignes. Quand Média Participations décide d’investir dans Deezer, et son abonnement illimité, Madrigall cherche donc des ouvertures pour la promotion de son catalogue.
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Avec une limite : celle du format strictement numérique. « Les initiatives de matérialisation proposées au fil des années n’ont pas manqué. Plusieurs expérimentations ont cherché un outil pour créer, en librairie, des jonctions avec l’offre numérique. Mais aucune ne s’est pour l’instant avérée convaincante », relève Eric Marbeau. Si, à ce jour, deux nouveautés sur trois sont uniquement disponibles en audiolivre numérique, les versions CD n’ont pas totalement disparu.
Intégrée depuis six mois au groupe suédois Nextory, la société Youboox que dirigeait Hélène Merillon est donc au cœur de cette nouvelle offre. La croissance rapide de la lecture numérique dans les pays scandinaves autant que l’expérience d’une structure fondée en 2015, conférait plusieurs atouts. « Le système de crédit temps, c’est le choix laissé au lecteur : contrairement à l’offre d’un ouvrage audio par mois, si l’on est trompé dans son livre, on peut changer », nous indique la directrice générale.
Ces offres forfaitaires, reposant sur un nombre d’heures ont déjà fait leurs preuves sur les différents territoires où Nextory intervient. En ajoutant des solutions multi-usages, pour plusieurs écrans, le bouquet est abondamment garni. Tout l’équilibre reposait sur la balance entre le nombre d’heures raisonnablement vendues aux clients et celles acceptables dans le modèle économique des éditeurs et des auteurs.
Acteur européen, Nextory revendique désormais un solide ancrage dans le monde de la lecture — presse, livres, magazines, audiolivres — avec un système « plus vertueux. Il s’agit avant tout de développer la lecture auprès des jeunes publics, en s’appuyant sur les adultes ». Les paliers reflètent d’ailleurs cette approche découlant de l’expérience terrain et des autres marchés d’Europe. « Ces forfaits couvrent les usages observés un peu partout », reprend Hélène Merillon. Quant aux actuels abonnés, ils en bénéficieront prochainement, maintenant que l’offre pour les nouveaux clients est en ligne.
« Les éditeurs savent maintenant que notre démarche réside dans la justesse et la durabilité : nous œuvrons pour que le streaming devienne vertueux auprès de tous. » En outre, plutôt que de déclencher son compteur d’heures de lecture, des systèmes d’extraits audio proposés gratuitement permettent de se faire l’oreille. De la sorte, en s’engageant dans un titre, on sait mieux encore où l’on va. Et même en cas d’erreur, changer devient aisé. La facturation, en revanche, commencera dès la première minute, une fois le titre enclenché. Et pour développer plus encore son offre, l'entreprise annonce une levée de fonds de près de 10 millions €.
D’ici la fin de l’été, l’intégralité de l’actuel catalogue audiolivre retrouvera sa place dans Nextory. « Nous avons signé avec tous nos partenaires précédents, mais il faut un peu de temps pour aboutir à l’intégration globale de tous les titres », observe la directrice générale. Avant d’ajouter que dans les prochains temps, le catalogue finira par devenir international.
crédits photo : Jukka Aalho/Unsplash
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